Ce n'était pas supposé. Pas planifié. Ce n’était pas ça les promesses faites. On n'avait même pas osé imaginer. Et voilà que le plan a changé. La setlist du plus beau show de ma vie a été royalement modifiée, mais j’ai eu droit à plein de rappels et je ne me rappelle que du beau.

J’ai oublié les bruits stridents des machines d’hôpital. La peur de s’endormir pour rater quelque chose et celle de se réveiller pour affronter la réalité. L’infirmière à la tête de ramen qui était bête avec toi et choisissait des doudous qui ne fitte pas avec tes bas. Toutes les fois où on était dérangés par des maudits tests. Je ne me rappelle plus quand je ne pouvais pas t’entendre pleurer à cause des tubes. Quand on nous a rencontré, ton papa et moi, comme dans les films, une grande table pleins d’inconnus en sarrau, pour nous dire qu’il faudrait te laisser aller. Te laisser choisir.

Je me souviens clairement qu’à ce moment-là, nous n’avons pas pleuré. Nous avons demandé si c’était fini de la rencontre. Si on pouvait aller te rejoindre pour continuer notre après-midi ensemble, tous les trois, collés dans un lit de 3 pieds. Parce que tu étais là. Ça, je m’en rappelle. Ton odeur de crème mauve. Tes grandes jambes de mannequin. Ta fête avec les ballons. Noël avec les cadeaux et ton vinyle du White Album. Le bricolage du dimanche avec tes grandes mains et tes pieds comme les miens. Le 2e orteil plus long, comme ta mère. Notre soirée à regarder Danse Lascive. Les infirmières n’avaient jamais vu ça. Pour nous, c’était la seule façon de faire. C’était les promesses faites. Les choses qu’on avait hâte de faire avec toi, notre précieuse. Ok, tu étais petite, mais je sais que toi aussi tu trippais un peu sur Patrick Swayze. Tu étais là. Toute là. On n’avait pas le droit de passer à côté de ça. 

Puis, un jour, on est tous rentrés à la maison. Ça non plus les médecins ne comprenaient pas. Ça ne devait pas faire partie du nouveau plan. Je crois que toi aussi tu nous aimais pas mal finalement. Là, c’était le bon temps. Le meilleur de ma vie. Juste du fun. C’était la règle pour rentrer dans notre maison. Chaque moment, chaque rappel que tu faisais, on le célébrait. Avec les ma'tantes, avec nos danses, avec les becs, les anges faits dans la neige, notre magasinage entre filles, avec les histoires de forêt enchantée, avec toutes les tenues choisies avec soin. Ce que tu étais belle. Le style «collant» parce que madame avait trop la taille fine pour des culottes et boucles démesurées dans cheveux mêlés. Rien de trop beau pour toi, Charlotte. 

Un soir, toute la famille était grognonne. Un soir de février, froid, où on ne voit pas le bout de l’hiver. On s’est forcés, habillés, et tous les trois, nous sommes allés faire un tour de grande roue. Toi? Trop petite pour ça? Pas du tout. Collés en famille, on a regardé les lumières. le ciel coloré, on s’est un peu envolés. Tu avais les yeux grands ouverts tout le long. Tu avais toi aussi la capacité de t’émerveiller devant tout. Ce que j’étais fière.

Crédits photos : MJ Gauvin.

Je ne me souviens plus du matin où tu es partie.

Je me rappelle que je te retrouve souvent. Pendant le spectacle de LOVE, quand tu nous fais gagner à Vegas avec le numéro 23, quand je me perds sur ta rue à New York, quand ton cousin me rappelle que même tes pets sentaient la rose. 

L’autre soir, je regardais les feux d’artifice. C’était si beau, mais ça me rendait si triste que tu rates ça. Ton cousin a remarqué mes larmes. Je lui ai expliqué. Il m’a répondu : «Voyons, elle a de bien meilleures places que nous. Ne t’inquiète pas.»
C'est avec toi que j'ai regardé le reste du spectacle.