J’ai déjà été ta petite fille, mais je ne m’en souviens pas. J’ai vieilli trop vite.
 
Tu sais, papa, tu as été un père inadéquat. Tu as fait des foutues grosses erreurs qu’on peut peut-être pardonner (je n’ai pas décidé encore), mais pas oublier. Tu m’as privé de quelque chose de super important : un papa présent, sans arrière-pensée, sans barrière, sans tabou.
 
Tu n’étais pas là. Tu n’étais pas absent, non. Nous nous sommes vus souvent, la fin de semaine sur deux où je pouvais visiter ton chez-toi. Nous avons joué au Monopoly, été au cinéma, mangé au restaurant. La cassette s’est répétée plein de fois. Mais nous n’avons jamais vraiment ri. Nous avons rarement été ensemble, pour vrai.
 
C’est de ta faute, tu sais. Y’a des choses qui ne se font pas.
 
Ceci n’est pas une #AgressionNonDénoncée. Elle l’a été, il y a longtemps. La justice, les professionnels et ma mère se sont assurés que tu reprennes le droit chemin, que je sois protégée de toi le temps qu’il faudra. J’ai donc été protégée. Tu as tenu ta promesse envers moi et, surtout, envers toi-même. Tu as réappris ta vie, réenligné tes actions, assumé le passé.

On a même repris un semblant de relation. Aujourd’hui, je te fais un câlin lors de mes visites, nous nous intéressons l’un à l’autre, nous nous sourions avec de la mélancolie dans l’œil.
 


La justice a réglé nos comptes, mais elle ne m'a pas rendu mon père.
Crédit : Pixabay.

 

Mais à cause de toi, je n’ai pas eu de père. J’ai eu un gardien en liberté surveillée qui a réappris à agir correctement à coups de AA et de thérapies. J’ai vu des psys pour confirmer que tes actions ne m’avaient pas brisée. J’ai eu des moments akwards au primaire quand on devait parler des « abuseurs », à tourner sept fois la langue pour éviter de dire, dans toute ma candeur, que mon papa en faisait partie. Je ne compte plus les fois où, en revenant de chez toi, j’ai dû répondre aux questions inquiètes de maman : « Rien de spécial chez ton père (placez un lourd sous-entendu ici)? »

 
Rassure-toi, tu ne m’as pas brisée. Je ne suis pas une victime, parce que je ne me sens pas comme telle. Je ne t’en veux pas pour les gestes posés. Je t’en veux toutefois pour ce qui en a découlé. Je me souviens encore de l’absence de marques d’affection, de la prudence dans tous tes gestes, du malaise qui suivait s’il fallait qu’on relâche notre vigilance, qu’on rit un peu trop fort, qu’on se pourchasse dans la maison (scandale!).
 
Et pourtant. Tu sais, papa, j’ai quand même le sourire lorsque je pense à ces années-là, celles où tu as tenté d’apprendre à être un père et où moi, j’ai appris à être adulte (même si j’ai aussi appris, sans trop m’en rendre compte, à me méfier de toi et des hommes).

J’ai vécu des après-midis formidables à dévaliser la bibliothèque municipale avec toi avant de découvrir les histoires qui s’y cachaient, chacun à un bout du divan. Je garde des souvenirs heureux des Noëls en famille où j’ai appris la science des dés et des cartes jusqu’aux petites heures du matin. J’ai profité des journées au chalet pour m’évader dans ma bulle pendant que tu ruminais dans la tienne. Et j’ai grandi. J’ai appris à te connaître, papa. À respecter ta distance, tes intérêts, tes silences parce que tu respectes aussi, maintenant, ce que je suis.
 
Malgré tout, papa, ce que je vais écrire me brise le cœur. Le papa de mes futurs enfants ne sera pas comme toi, parce que le plus fort, ce n’est pas toi.

Avez-vous déjà eu à faire le deuil d'une relation « parfaite » avec un parent? Comment vivez-vous cette situation au moment de devenir vous-mêmes parents?