(À lire : première partie et seconde partie)

J'ai failli arrêter de partager mon histoire. J'me demandais si c'était trop. Si c'était nécessaire. Utile.
Ça fait quand même dix ans que Joe ne fait plus partie de ma vie. J'avais l'impression que je devrais garder ça pour moi.

Mais c'est ce que font plusieurs victimes d'abus. Fait que fuck it, je la raconte jusqu'au bout, mon histoire. 

DONC. La maison.

On a choisi une belle maison. On était rendus là, dans vie. Un couple qui s'aime pas, ça s'achète une maison, t'sais. On avait pas une cenne, mais j'allais recevoir un héritage, so c'était all good.

Nous étions réellement pauvres. Joe volait des boîtes de pâtes en sauce pis du vieux fromage à l'épicerie. Je trouvais ça presqu'aussi dégueu que son rituel d'après-souper : faire la tournée des cendriers publics pour ramasser des butchs de smoke. Le voir vider les mégots et rouler leur contenu pour le fumer a dû me turner on, parce que peu après notre arrivée dans la maison, je suis tombée enceinte.

J'aurais aimé vivre plus aisément. J'ai essayé. Deux fois, je me suis trouvé une job de serveuse. À tous mes quarts de travail, du début à la fin, il était sur la terrasse, à boire et manger comme un bigshot, sur mes pourboires.  Je quittais avec lui pis son bill.

J'ai dû démissionner, car monsieur n'aimait pas que je travaille les soirs et les fins de semaine. 

Heureusement, nous avons commencé à enseigner le théâtre peu de temps après. Notre patronne, que je connaissais déjà très bien, nous a adoptés, littéralement. Puisque j'avais coupé les ponts avec ma mère, cette femme, étrangement, la « remplaçait ». Elle était ma source de réconfort, mon point de repère. Elle ne pouvait prendre la place de ma mère, clairement. Je ne la respectais pas. Je dépendais d'elle, in a sick way.

Elle s'est mise à aimer Joe de plus en plus. C'en était devenu grotesque. Les gens de ma ville natale, mon monde, sont aussi tombés sous son « charme ». J'étais devenue l'ombre de mon cauchemar, dans mon berceau. Je n'étais pas « leur p'tite fierté revenue en région ». J'étais la blonde de Joe Tannant.

J'étais la mère de son troisième enfant.

Je ne sais pas si sa joie était réelle, mais il ne faisait aucun doute que la mienne ne l'était pas. Joe sentait que pour moi, cette grossesse était un accident. Il m'a souvent dit qu'il accepterait ma décision de ne pas garder le bébé. Mais qu'il ne pourrait rester si c'était le cas. La porte était grande ouverte, mais je suis restée. 

Lorsque j'ai appris que j'étais enceinte de Livia, je me voyais avec mon bébé dans les bras. Tandis qu'à cette grossesse, je savais que je ne rencontrerais jamais mon enfant. Mais je me mentais. À moi et à tout le monde.

J'ai même menti à mon bébé. Ce souvenir ne me quittera jamais. J'étais assise dehors. Joe venait de se faire arrêter et venait de partir vers la prison. Je caressais mon ventre en parlant doucement à cette pauvre petite vie. « Inquiète-toi pas. Tu ne vas pas mourir. Je suis là. » Il faisait si beau dehors. Je venais de mentir à mon bébé. Mais je me rappelle qu'il faisait beau. 

Avez-vous déjà fait face à un ultimatum concernant votre grossesse?