Jeudi matin, j’ai reçu un texto d’un de mes meilleurs amis. Le genre de texto que je ne souhaite jamais recevoir. Parce que je connais trop bien les implications. Je connais tous les si et les mais. Je connais ce que je ne voudrais pas qu’ils aient à connaitre.
 
« Bon matin. Ma blonde a été déclenchée cette nuit à 2 h. Notre petit garçon sera parmi nous aujourd’hui. » 32 semaines et 4/7. C’est trop tôt. Beaucoup trop tôt.
 
Une fois le tourbillon enclenché, il n’y a aucun moyen de revenir en arrière. Les émotions se mélangent. L’excitation de rencontrer enfin ce petit bout d’homme tant attendu se mêle à cette peur viscérale que ce début de vie soit des plus difficiles.


 
Je reçois un deuxième texto. Seconde claque au visage. « On s’en va en césarienne d’urgence. » Je tombe en mode alerte. Je sais qu’ils sont entre de bonnes mains. Ce sont mes anciens collègues qui en prennent soin. Je connais leurs compétences, leur expertise. J’attends frénétiquement le message salvateur qui me dira que tout le monde est hors de danger.

1 h plus tard. Une photo. Enfin! Un magnifique garçon. Avec tout l’attirail qui vient avec la prématurité. Les fils, les moniteurs, l’aide respiratoire et une maman qui n’aura même pas eu la chance de le tenir contre son cœur avant qu’on le transporte en lieu sûr. Dans sa bedaine de vitre. Au chaud.

Et papa lui? Déchiré entre ses amours. Le trait d’union qui garde unis maman et bébé. Celui qui rassure, cajole, console. Tellement qu’il en oublie sa propre peine. Occupé à maintenir l’équilibre. Fragile. Friable. Dormir? Ça ne semble même pas être une option tellement la tâche est colossale. 

Je vois apparaitre une photo dans mon fil d’actualité. La même que j’avais reçue quelques heures plus tôt. Pourtant personne ne semble en faire la même lecture que moi. Les félicitations fusent de toute part. On se réjouit que tout le monde soit en santé…

Bien sûr, les gens se veulent gentils et rassurants. Ne sachant quoi dire face à la réalité si méconnue de la prématurité, la plupart voudront éviter les faux pas. Mais à vouloir éviter le sujet, on isole les parents. On les laisse seuls à eux-mêmes avec la peine qui leur noue la gorge jusqu’à ne plus pouvoir parler.

On les laisse dans le monde parallèle de la néonatalité. Là où les cloches et les alarmes ne s’endorment jamais. Là où les soignants marchent à pas feutrés entre ces minis combattants qui luttent chaque seconde pour leur survie. Là où chaque parent regarde le moniteur cardio-respiratoire aussi assidument que si sa propre vie en dépendait. Parce que c’est bien pire que si leur vie en dépendait. La vie de leur enfant en dépend.

 
Mon amie aura probablement son congé de l’hôpital aujourd’hui. Certains se réjouiront pour elle. Et moi j'aurai le coeur de maman gonflé de peine pour elle. De cette deuxième coupure. De savoir qu’elle devra repartir les mains vides. En confiant ce qu’elle a de plus précieux.

Je suis là mes amis. Je sais la douleur de l’épreuve. Je sais votre résilience. Et les autres doivent savoir. Pour qu’on en parle. Pour qu’on brise l’isolement et la méconnaissance. Parce qu’un bébé sur dix aura le même parcours que votre petit combattant. Parce que vous n’êtes pas seuls. Parce que je vous aime.

Bienvenu parmi nous, petit amour.

Comment la prématurité a changé votre vie ou celle de vos proches?