Il y a quelques années, j'ai revu un ami de longue date. Un ami avec qui je jouais à la maternelle, avec qui j'aurais pu sortir en 5-6e année. Avec qui j'ai entendu la dernière cloche de notre dernière journée d'école primaire. Un ami qui insistait pour que j'aille à la même école secondaire parce que, t'sais, « ça serait tellement cool! » 

Un ami sur qui j'ai eu un autre kick d'ado en secondaire 1, puis en secondaire 3. En secondaire 3, je pense que je l'aimais vraiment. Que c'est le premier gars que j'ai réellement aimé, en fait. Mais j'avais peur. Que ses sentiments ne soient pas réciproques, que mon aveu brise notre amitié. Je préférais, et de loin, le garder dans ma vie plutôt que de courir le risque de le voir s'enfuir en courant à son tour. C'est l'effet que ça fait, une estime de soi minable : la peur de repousser les autres. L'incapacité à lire les signes que l'autre personne nous aime probablement autant que nous on l'aime. Bref.

On a été quelques années sans se voir. Je me suis fait un chum insipide, pour pas que ça fasse trop mal s'il m'aimait moins, s'il me laissait, s'il se sauvait en courant à son tour.

Et j'ai continué comme ça une bonne partie de ma vie. 

Je vous l'ai dit, c'est ça que ça fait, une piètre estime personnelle.

Quand j'ai revu ledit ami du début (oui, oui, il faut suivre), on était rendus adultes. J'étais en couple depuis 4-5 ans avec un autre gars insipide - oui, si longtemps que ça. Mais on a passé toute la journée ensemble. 7 ou 8 heures à jaser de tout et de rien. Je regardais ses lèvres quand il me parlait, en me demandant ce qu'elles goûteraient. Je regardais ses mains gesticuler; je les imaginais sur mon corps. Je fixais ses yeux sombres; j'avais envie qu'ils sondent les miens.

Puis, on a parlé d'avant. De nos souvenirs, du bon vieux temps. De ma famille, derrière la façade cossue de notre banlieue riche et, avouons-le, snob. Des cris, des crises, des pleurs. Des reproches, des regards qui veulent tout dire. De l'abus... puis, en plein milieu d'une phrase, le verdict est tombé : « Ok, c'est beau. » Il en avait assez entendu. Il en avait assez.

Moi qui croyais qu'on pourrait tout se dire. Foutaise : on n'avait jamais su se dire qu'on s'était tant aimés, alors qu'on le faisait. Comment aurait-on pu se confier combien on avait tant souffert, même si ce n'était pas avec ou à cause de l'autre?

Un ami de longue date, un amoureux potentiel qui me dit, sans me dire, de me taire. Si lui ne veut pas entendre ni savoir, qui le voudrait bien? Si ça fait trop mal à entendre 20 ans plus tard, comment vivre avec ce vécu toute une vie? Comment se donner même le droit d'imaginer une vie de famille saine et épanouie? Y arriverai-je ou reproduirai-je les mêmes patrons relationnels néfastes que mes parents?

Ces questions, je me les suis posées, sans le savoir, bien avant cette discussion. Enfant, déjà, je me disais que j'habiterais sous le même toit qu'un ami, qui ferait la vaisselle, ramasserait ses bas, regarderait la télé avec moi le vendredi soir pendant que mes meilleures amies allaiteraient leur petit dernier, une crotte de nez du plus vieux collée dans les cheveux depuis quelques jours, à leur insu. Que j'aurais une vie d'adulte sans histoire, sans couleur, sans saveur. 

Mais cette discussion a été un point tournant dans mes réflexions : et si je transmettait mon héritage généalogique à des - MES - enfants?

À suivre...