La vaisselle flotte dans l’évier. Sur le plancher, les jouets et les vêtements forment des flaques de traîneries qu’il me faut enjamber pour aller ouvrir la porte. L’Amoureux vient d’arriver. Il est 19 h. Nous sommes vendredi soir. Je suis déjà en pyjama. 

J’ai un chiffon dans la main gauche qui me sert à nettoyer la nourriture-projectiles que propulse mon bébé-petit-ange/petite-fille. C’est vendredi soir, dis-je, la fin de semaine est jeune et fringuante. 

Avant, je me serais fais belle. Nous serions sortis. Nous aurions mangé des huîtres et bu. Sur des nappes blanches, nous aurions dégusté des assiettes architecturales. Et nous aurions prolongé les heures dans un boîte de nuit, ailleurs, ailleurs.

Ici, la table n’est pas mise. Il n’y a rien dans le Frigidaire. Je n’ai pas l’énergie de feuilleter un livre de cuisine. Je n’en ai pas le goût. Pas le courage de regarder des plats parfaits sur du papier lustré. L’idée d’ouvrir ma tablette et de zieuter les réseaux sociaux à la recherche de suggestions me donne mal à la tête. Je n’ai pas la force de voir luire une miette de culpabilité (que je n’ai pas, de toute façon). Parce que, depuis longtemps, je n'ai plus de sentiment de faute face à la maternité superficielle qu’on voudrait me vendre.

Depuis longtemps, j’ai compris que ma culpabilité face à ma responsabilité maternelle n’est pas mauvaise, mais belle et bonne. Ma gaucherie, mes imperfections, mon côté tout-croche et vrai, ma face pêle-mêle et mes gestes maladroits, les taches des petits doigts sur mes chandails, mes cernes, ma fatigue... toutes ces petites imperfections nouvelles qui me sont apparues en même temps qu’est sorti de moi un bébé, font de moi, enfin, une fille maman digne.

Non pas que j’étais indigne avant. Nenon. J’étais heureuse et la vie m’offrait tant de possibilités. Mais aujourd’hui, je crée et j’entretiens une petite vie avec toute la délicatesse du Petit Prince penché sur sa rose « unique au monde ». Mes paroles, mes jours et mes gestes font pousser un être qui me donne l’impression d’exister. Et mes pleurs, mes insomnies, mes misères de mère concrétisent cette belle épreuve qu’est la maternité. Belle, parce qu’imparfaite?


Sylvia Plath écrivait : « La perfection est terrible, elle ne peut avoir d’enfant. » 
Crédit : Anne Genest
 

La perfection est « la réunion de toutes les qualités portées à leur degré le plus haut », rétorque mon vieux Bob-de-dictionnaire. J’ai souligné deux fois le mot « portées ». Mes quelques qualités, je les « porte » bien haut depuis que je transporte une enfant.  

Sylvia Plath écrivait : « La perfection est terrible, elle ne peut avoir d’enfant. » Je voudrais lui répondre qu’au contraire, la perfection porte la vie qu’elle a fait naître.

Que pensez-vous de l’image de la femme (parfaite) créée par les médias sociaux?