Cher Justin,

Ta vie est loin d’être simple mon fils, je le sais. D’un côté tu as ta grande sœur qui vit sa vie en image, au rythme de ses pictogrammes et de l’autre, il y a Livia qui n’a que 18 mois. Un bébé qui a pris ta place à toi. En quelques mois, tu t’es retrouvé l’enfant du milieu. L’enfant entre elles. Elles qui demandent beaucoup. Elles qui font en sorte que j’ai moins de temps pour toi.

Ces moments que tu affectionnes et tu espères, mais qui t’ont été volé si souvent parce que Livia perçait une nouvelle dent ou parce qu’Ariane ne se retrouvait plus dans le temps. Tant de moments où je t’ai dit que tu étais grand alors que dans les faits tu ne l’es pas tant que ça. Tant de moment où mon cœur de maman a encaissé des élans de culpabilité. Ces moments où j’aurais eu envie d’arrêter le temps pour danser avec toi sur tes airs préférés. Ces moments où je mettrais le time timer à off pour te dire que moi aussi je trouve ça rough.

Que je trouve ça difficile de réaliser, au fil des mois, que ta sœur Livia grandit, mais que je ne me souviens pas. Que ces mêmes mois, que toi tu as traversé, je ne m’en souviens pas. Tellement absorbé par la différence de ta sœur aînée, tellement entêtée à la sauver, je n’ai pas vu, pas vécu, je ne me souviens plus.

Je me souviens de ces moments assis par terre avec vous deux où je me disais que tu es un génie et elle la règle, la moyenne. Je me souviens de toi si petit. Je me souviens de mon déni. Je me souviens de ce soir où j’ai compris que c’était toi la moyenne, la règle, l’enfant dit normal. Qu’elle, elle était la différente, l’édition limitée à investiguer. Je me souviens de tant de choses et si peu à la fois.

Tu sais Justin, tu l’ignores encore, mais la mémoire est un drôle de disque dur. Il sauvegarde plus efficacement les moments de ressentiment que les beaux instants. Je comprends que, par moment, tu es en colère, que ton volcan explose en toi. Que tes sœurs sont ce qu’il y a de plus dérangeant, l’obstacle entre toi et ta maman. Par contre, ces paroles que tu dis, ces instants où tu cries, ne tombent pas dans l’oubli.

Ta tante Cindy pourrait t’en dire long sur le sujet. Il y a quelques années, moi aussi sa présence me dérangeait. Elle prenait place entre moi et ma maman. Entre moi et mon papa que je ne voyais pas souvent. Je lui volais son biberon et je le vidais. Plus tard, je refusais de jouer avec elle sous prétexte qu’elle était trop laide. Je me sauvais avec mes amies, la laissant derrière moi. Je lui ai même fait croire qu’elle était adoptée, sachant très bien que cette affirmation allait la blesser. Nous en rions maintenant, mais tu sais Justin, s’il y a bien quelqu’un qui te comprend, c’est moi.

Je voulais simplement te dire que je comprends que, pour toi, cette vie familiale n’est pas des plus simple et qu’il est important de l’exprimer, sans crier, afin que je puisse m’ajuster. Cette responsabilité est la mienne et jamais je ne prendrai le risque que tu doutes à quel point ta maman t'aime.

Je t’aime Justin, vraiment.

Ta maman qui se sent bien ordinaire quand elle réalise le temps que l’extraordinaire prend dans notre univers, notre famille, au détriment de ta vie d’enfant.