Le 11 janvier, il y a neuf ans aujourd’hui, à 2 h 30 du matin, j'ai dit adieu — ou au revoir, qui sait — à ma fille, notre fille. À celle qui m'a donné le titre de maman. À celle qui a été la première à me donner ce nom si doux et fort à la fois. Neuf longues années à ne plus la voir ni l'entendre. À ne plus pouvoir poser mon nez dans son petit cou qui sentait trop bon. À ne plus pouvoir l’écouter chanter ou la regarder, malhabilement, danser comme elle aimait tant le faire.

Il y a neuf longues années que la maladie est venue me chercher une partie de ce que j'avais de plus précieux au monde. Neuf longues années sans elle et pourtant les souvenirs de cette nuit sont gravés en moi. 

Crédit : Barbara Bouchard

Ces derniers moments, cette dernière presque nuit, je ne pourrai jamais les effacer de ma mémoire. Au travers de la maladie de notre fille, j'ai oublié beaucoup de choses, de moments, de rendez-vous, même des gens. Mon cerveau a aussi confondu plusieurs souvenirs pour les rendre imprécis, comme dans un rêve ou plutôt un cauchemar trop réel. Par contre, cette nuit-là, je l’ai engloutie en moi pour m'en souvenir à jamais.

Dès son diagnostic, j’ai su qu’elle nous quitterait beaucoup trop tôt. Que la maladie allait gagner; les oncologues pédiatriques avaient été très clairs là-dessus. Bien que la tumeur — déjà, tu parles d'un nom sinistre — qui avait méchamment pris racine dans le tronc cérébral de notre fille n’était pas nécessairement cancéreuse. C'est l'endroit où elle s'était logée qui la rendait mortelle. 

Crédit : Barbara Bouchard

Aucune intervention chirurgicale possible, aucun traitement de chimiothérapie qui répond bien. Il ne restait plus qu’à lui offrir des traitements de radiothérapie qui allait ralentir le développement de cette vilaine chose. Cette vilaine chose a été une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes pendant près de deux ans et demi. Cette vilaine chose a transformé notre petite merveille en petite bombe à retardement qui allait mettre fin à notre bonheur.

Cette fin est arrivée beaucoup trop tôt, malgré les « prédictions » encore plus pessimistes des spécialistes. 

Le 28 décembre, il y a neuf ans, son état s'est mis à m'inquiéter. Trop de sommeil et trop peu de temps d’éveil. Pas assez de nourriture ingérée pour nourrir son petit corps. Trop de différences avec son état habituel. Nous avons donc amené notre petite fille à l’hôpital de notre région. Ce n’était plus notre vraie fille; la vilaine chose se manifestait, même si mon cœur ne voulait pas y croire.

Le premier janvier, nous avons été transférés au CHUL où nos inquiétudes ont été confirmées. Verdict : la tumeur prenait de l’ampleur, trop. Nous avons (sur)vécu les derniers jours de vie de notre petite fille. 

Puis est arrivée cette nuit-là. Nuit porteuse d’un mélange d'émotions difficilement descriptible.

Crédit : Barbara Bouchard

Je me souviens que quelqu'un (sans me souvenir qui) est venu nous chercher, car notre fille commençait à avoir des difficultés respiratoires. Je me souviens du moment quand son respirateur a été débranché pour permettre aux membres de nos familles, qui ont été tellement merveilleux, de la bercer une dernière fois. Je me souviens des infirmières qui l’extubaient. Je me rappelle qu’elles ont éteint les moniteurs pour faire taire leurs sonneries terrifiantes.

Je n’oublierai jamais qu’ensuite nous nous sommes couchés, mon mari et moi, avec notre petite fille. Nous étions collés bien fort, nos nez enfoncés le plus possible au creux de son petit cou pour en sentir l'odeur une dernière fois. Je me souviens m'être laissé bercer doucement par son souffle qui, tranquillement, se faisait de plus en plus rare jusqu'à ce qu’il cesse complètement. Ce dernier souffle a été un bouleversement. Un mélange de colère, de rage, de douleur et de soulagement… Je n’ai pas été délivré par son départ, mais je savais qu’elle — notre fille, ma Lydia — n'était pas heureuse de vivre dans ce corps qui la tenait nouvellement prisonnière.

Chaque 11 janvier depuis 2007, je me dis que le temps file trop rapidement. Je n'arrive pas à croire que j'ai été privée de la présence de ma fille depuis toutes ces années et, en même temps, on dirait parfois que tout ça est arrivé hier.

Il ne faut pas croire que ma vie est tout le temps triste depuis ce jour. Je trouve même que je m'en tire bien, malgré cette épreuve. Je me trouve même chanceuse. Oui, chanceuse d'avoir été SA maman. Ma fille, notre petite surprise, a fait de moi une meilleure personne et je suis fière de ce qu'elle m'a appris. J'aurais pu ne jamais être la maman de Lydia, mais je ne serais pas devenue la femme que je suis aujourd'hui. 

Si elle était devant moi, aujourd'hui, je lui dirais que je suis TELLEMENT fière qu'elle ait été ma fille, qu’elle ait fait partie de nos vies. Et même en sachant toute la peine que je vivrais suite à son départ, si j'avais le choix de la remettre au monde, je n'hésiterais pas une seule seconde.

En hommage à toi, ma grande championne, je souris à la vie!