Ça y est. Je le sens que ça s’en vient. Ce n’est plus qu’une question de semaines, peut-être même de jours, avant que mon allaitement ne se termine. Par choix? Pas forcément. Car n’en déplaise à toutes celles qui me diront que je peux allaiter aussi longtemps que je le veux, chez nous, ce sont mes bébés qui ont eu le dernier mot.
 
Juliette avait décidé, à l’âge de 11 mois, qu’elle en avait assez du sein. Elle le repoussait, jouait avec, pouvait se mettre à hurler dès que je l’approchais de moi à l’heure du boire. Fatiguée de me battre, je lui présentais alors la bouteille et elle sautait dessus, presque trop heureuse de pouvoir manipuler la chose à sa guise, pouvoir regarder partout en buvant. Une vraie petite madame en quête d’autonomie.
 
J’avais gardé le boire du matin comme petit moment toute seule avec elle, toutes les deux collées dans mon lit, jusqu’à ce que le corps cesse à peu près de produire. Le sevrage s’était alors fait naturellement, graduellement et sans aucune montée de lait gênante. Comme si tout s’était mis en place pour que ça se passe sans qu’on le remarque trop.
 
J’étais sereine. Je savais que je revivrais l’allaitement un jour.
 
À l’arrivée de Simone, j’avais évidemment hâte de tenir mon bébé dans mes bras, mais j’avais aussi très hâte de recommencer à allaiter. Je n’en aurais jamais fait de guerre, de manifestation à déchirer ma chemise sur la place publique, mais j’ai toujours aimé ces moments privilégiés collée sur mon bébé. Le temps s’arrêtait, il n’y avait plus rien de plus important que de la nourrir et de me consacrer entièrement à elle.
 
Ça n’a pas été facile tous les jours, surtout avec la plus grande qui tournait autour, qui voulait conserver sa place dans ce petit moment qui semblait n’appartenir qu’à sa petite sœur. On a fini par trouver le moyen de la contenter, alors qu’elle me flattait la main pendant que je terminais de nourrir le bébé. Inoubliable.
 
Mais voilà, le bébé n’en est plus vraiment un. Et comme si la plus jeune avait inconsciemment calqué sa ligne de vie sur la plus vieille, elle vient d’avoir onze mois et se désintéresse de plus en plus du sein. Elle le repousse, joue avec, crie au moment où je l’approche de moi… Comme si elle cherchait maintenant à devenir elle aussi une petite madame en quête d’autonomie.
 
Cette fois, par contre, ça fait plus mal. Il n’y aura plus de recommencement, car il n’y aura pas d’autre petite sœur ou petit frère.
 
J’ai consacré onze mois de ma vie à lui donner le meilleur de moi-même, je devrais en être plus que fière. Combien de mères incapables d’allaiter auraient payé cher pour avoir ma chance? Mais je retarde inconsciemment le jour où ce sera terminé pour de bon. Pas par conviction profonde, pas par inconfort physique.
 
Juste parce que j’ai encore l’illusion que le temps n’a pas passé si vite. Juste parce qu’en l’ayant ainsi tout près de moi, elle est encore un tout petit peu mon bébé.
 
Comment avez-vous vécu la fin de l’allaitement avec votre enfant?