C’est la faute du recensement. Pourtant, en tant que sociologue, je me réjouissais de son retour. Lorsque je finis de taper mon code pour y accéder, en voyant que j’avais été sélectionnée pour la version looooooongue, no joke, je me suis écriée : C’est Noël! Je ne savais pas ce qui m’attendait.
Tout allait bien (enfin presque, la question à priori inoffensive « Quel est le sexe de cette personne » me gossait avec comme seule possibilité de réponse sa binarité masculin/féminin, mais c’est une autre histoire), jusqu’à la section sur les renseignements socioculturels. Je réponds pour mon fils et moi aux questions sur nos lieux de naissance, nos nationalités, les origines ethniques et nationales de nos ancêtres. C’était davantage long que compliqué. Je suis née au Chili, mais suis arrivée au Québec petite. Le père de mon fils est un Suédois qui a sa résidence là-bas. Tout cela semblait assez administratif et bam! : la question qui tue.

Cette personne est-elle un :

  1. Blanc
  2. Sud-Asiatique
  3. Chinois
  4. Noir
  5. Latino-Américain
  6. Etc. (le etc. est de moi,  il y avait douze choix!)

50 nuances de blanc-beige-brun50 Shades of Blanc-Beige-Brun - Crédit : Pixabay
Mon fils était-il Blanc? Aussi ridicule que ça puisse paraître, je ne savais pas. C’est qu’il est né en Suède d’une maman latino-américaine et d’un papa scandinave. J’ai dû passer 10 minutes à l’observer, analysant son teint, changeant d’idée toutes les trois secondes. Pourtant, ça fait trois ans que je l’admire le regarde. De quelle couleur est-il? Aucune idée. Je demande à son père.
« Pour un Suédois, il est foncé. Je mettrais Latino, je pense. »
« Oui, mais pour un Latino, il est pas mal pâle. »
#PasSortisDuBois
Crédit : ClkerFreeVectorImages/Pixabay 

Cette question est complexe parce qu’elle renvoie à l’identité. Bien sûr, elle martelait aussi : où commence le blanc? Où s’arrête le brun? Mais  surtout, qui étais-je pour décider s’il était Blanc, Latino ou un mélange?

Ça me renvoyait à la théorie du one drop aux États-Unis. On parle du premier président américain Noir, mais on oublie que son père était Noir et sa mère Blanche. Il ne suffit que d’une goutte pour qu’aux yeux d’autrui, on nous considère comme faisant partie de la minorité. Ce qui rassemble ces minorités colorées, ce n’est finalement que leur distance par rapport à « leur norme », blanche évidemment. 
 

Obama, de quelle couleur es-tu?Obama, de quelle couleur es-tu? Crédit : Pixabay
J’avais le questionnaire devant moi, j’étais bloquée. En cochant « Latino-Américain » est-ce que je souscrivais à cette norme de la one drop? En cochant « Blanc », étais-je en train d’invisibiliser ses origines pour le faire fitter? Mon malaise ne venait pas du fait qu’il s’identifie à une catégorie. J’avais l’impression qu’en choisissant pour lui, je lui imposais son identité à venir et sa façon de se construire au monde. Je ne le laissais pas dire qu’en Suède il se sentirait Latino et que parmi les Chiliens bronzés, il se sentirait Scandinave. Je ne le laissais pas revendiquer ce qui s’imposerait à lui au gré de ses expériences avec les autres.
 
Je l’ai regardé. J’ai trouvé belle sa couleur beige foncé qui lui amènerait son lot de questionnements identitaires.
Bref, j’ai coché les deux.

Avez-vous déjà senti qu’on voulait mettre votre enfant dans une petite case?