Il y a de ses évènements qui vous changent à jamais. Qui forgent votre être de façon instantanée et irréversible. Qui vous font quitter cette zone grise, ce statu quo établi, pour faire ce qu’autrement vous n’auriez jamais eu le courage de faire.
 
Pour ma part, cet évènement a été une courte rencontre avec un gynécologue.
Enceinte d’environ treize semaines, je me suis présentée pour un écho dating au département de gynécologie de mon hôpital. Le docteur qui était de garde est venu me donner les résultats suite à la procédure. Il a regardé brièvement mon dossier et a remarqué l’absence du test de dépistage de la trisomie 21. Gros sujet tabou : nous avions décidé de ne pas faire ce test. Malgré les regards, malgré l'insistance (nous avons dû dire non six fois au total). Décision réfléchie, prise en toute conscience des conséquences. Mais pour ce gynécologue c’était clairement un caprice d’une mère simpliste et irresponsable. J’ai senti son regard méprisant lorsque je lui ai répondu calmement que les tests n’avaient pas été négligés, mais consciemment écartés. Il ne m’a plus regardée, mais il a seulement lancé froidement que ce serait une bien mauvaise surprise. Je suis sortie déboussolée de la salle d’examen. J’ai frappé un mur, le mur de l’acceptation conditionnelle de mon enfant.
 
Mais quelle intrusion! Au nom de quoi? De l’argent, de la productivité?
Notre choix, nous l’avions pris ensemble dans le respect de nos valeurs à nous. Et nous étions prêts à l’assumer naïvement, certes, mais sûrement.  
 
Dans mon cas, la naissance et les tests de routine qui ont suivi ont permis de confirmer l’absence d’anomalies génétiques. Mais reste que l’expérience m’a laissé un goût amer.
 
Vous savez, ce docteur tentait de m’ouvrir les yeux sur mon égarement et il a réussi. En effet, je réalise combien j’étais égarée de croire que nos choix étaient toujours respectés. De croire que les parents étaient supportés et éclairés, que les options étaient humanisées. J’ai compris que le système avait décidément son parti pris et que les parents étaient indéniablement poussés du côté de la catastrophe. 
 
Ce docteur a jeté de l’huile sur le feu de mon cœur.  Ce brasier qui me brule en dedans, je le lui dois. Sans lui, je serais peut-être passée à côté de l’essentiel. Ou du moins, je ne m’y serais pas accrochée si férocement. Je suis convaincue que le parent qui décide d’accueillir son enfant avec ses forces, ses faiblesses, ses défis malgré le tabou, la peur et l’incompréhension de tous mérite au moins le respect et l’accueil. Sans jugement, sans malaise, sans pitié non plus. Juste comme n’importe quel parent.
 
Quand les femmes ont milité pour leurs droits, elles ont brulé leurs brassières.
 
On fait quoi pour le droit des exclus, des différents, des moins productifs, des « anormaux », des atypiques et des familles qui ont décidé de les aimer? On brule quoi?
 
 Si certains me trouvent trop intense et alarmiste, je vous invite à regarder ce reportage de Radio-Canada
 Il est peut-être temps de sonner l'alarme justement.

Sentez-vous aussi cette pression?