Imaginons la scène. Papa pis Dada mangeant et riant, la foule entière du restaurant s'extasiant devant leur bambin. Soudain, une odeur arrive aux narines des deux hommes. Dada vérifie sagement le fond de la couche en l’ouvrant sans vergogne et aperçoit le trésor libéré. Il faut agir. Vite, le sac à couche et une bouchée de bacon, puis il part avec bébé. Dada arrive à la salle de bain, ouvre la porte et, horreur! La salle de bain pour hommes n’a aucune table à langer! Musique dramatique. Que faire? Doit-il s’installer en plein centre de l’allée en créant un périmètre de sécurité, bras tendus, hurlant: « Attention, je dois changer la couche de mon enfant! »?

Non. Tel un explorateur téméraire, il n’a pas hésité et a ouvert la porte de la salle de bain des dames. Oui, je sais. Dada dans le sanctuaire des vagins. Que voulez-vous, quand marde il y a, Dada ne se gêne pas. Il entre donc et installe le petit nauséabond sur le dos, jambes en l’air. Dada change la couche lorsque, tout à coup, Rencontre du Troisième Type : une femme, sortant d’un cubicule a l’air surprise :

« Oh, fait-elle, surprise et décontenancée.
— Désolé, il n’y a pas de table à langer dans notre salle de bain.
— Ah! »

Elle s’approche du père et son enfant.

« C’est donc au tour de papa de changer la couche! », fait la dame, pimpante. Elle fait un sourire charmant et se penche vers le bébé. « Ta maman est très chanceuse d’avoir un papa aussi dévoué! Elle doit être comblée! »

Elle fait un clin d’œil et part, sans s’être lavé les mains il faut le préciser. Et voilà. Une fois que vous avez un enfant, la plupart des gens assument que vous êtes hétérosexuel, comme si le bébé annonçait par sa présence : « J’ai fait l’amour à une femme, du sexe opposé, qui plus est! » Même lorsque nous sortons toute la famille ensemble, nous pouvons entendre des remarques comme : « Oh, c’est le jour de congé de maman! »

On assume ici que Papa et Dada sont des partenaires de squash et buddies de hockey qui vont au parc divertir le p’tit pendant que leurs épouses placotent autour d’un Cosmopolitan à la maison, leurs boucles d’oreille tintant dans l’air conditionné. Bien évidemment, ma première réaction est de hausser les épaules et jouer le jeu.

« Eh oui, une maman a le droit de se reposer aussi! », pourrais-je affirmer en me grattant la poche, virilement.

C’est plus simple pour tout le monde. Dada n’a pas envie d’expliquer à la caissière du Wal-Mart que non, sa maman n’attend pas dans l’auto, mais qu’il a deux hommes pour parents, DEUX HOMMES qui s’embrassent sur la bouche! Mais subitement, Dada se dit que non. Il a assez bûché dans sa vie et subi les persécutions cruelles du monde pour dire, fuck off, ce p’tit-là, il a deux papas, pis c’est ça qui est ça. Alors, un peu trop fort à son goût, Dada lâche:

« Il n’a pas de maman, mais bien deux papas. »

« Pardon?, fait la dame en se retournant, ses cheveux blonds figés dans le temps et l’espace de façon terrifiante.
— Notre famille est faite de deux papas et un petit garçon. »

Dada se prépare au pire, parce que c’est à ce moment qu’il a peur de tomber sur celle qui va lui lire les scriptures tout en parlant de biologie sacrée du corps humain, de feu et flammes éternelles. Mais la dame fait seulement un sourire embarrassé.

« Oh, c’est…c’est, ben correct. »

C’est ben correct. Voilà ce que #LesGens pensent finalement de nous. Ils peuvent être choqués, incertains, dégoutés, mais lorsqu’ils sont confrontés à la réalité, la plupart vont dire: « C’est ben correct », pis passer leur chemin. Pis c'est ben correct de même, non?