C’est une question banale qu’on me pose out of the blue, au détour d’une conversation. Elle pop sans crier gare et la personne qui tire à bout portant avec sa belle interrogation n’a aucune idée de la merde qu’elle vient de créer dans mon for intérieur.

« Pis? Le deuxième? C’est pour quand? »

Crédit : Giphy

C’t’une question cute. Un brin curieuse.  Elle témoigne sûrement, chez ceux qui ont déjà généré de l’humain, d’une certaine nostalgie pour cette odeur de crâne propre et de vieux lait séché.

J’voudrais répondre « bientôt ». J’voudrais répondre « maintenant ».  J’voudrais  leur annoncer la bonne nouvelle, leur faire fumer un cigare géant, leur dire qu’il s’appellera Alice ou Gaétan. 

Mais je mentirais. 

Car avant de répondre, je plonge mon regard sur la petite tête dorée de ma fille. Celle qui est là contre toute attente. Celle qui a fait mentir les statistiques. Celle qui tire sur ma manche parce que la conversation l’ennuie comme un cours d’économie familiale. Je repense à tout ce qui l’a précédée, à la décision que j’ai pris un matin de janvier et je réponds honnêtement : « Y’en aura pas d’autres.  Elle sera la seule. »

Comme on dit au hockey : ça n'ira pas plus loin.
Crédit : Patrick Lienin/123FR

On s’étonne, on roule des yeux, on gonfle des sourcils.  Et c’est correct, parce que je n’ajoute presque jamais « J’ai pas le courage de recommencer les fécondations in vitro (FIV) ».  La conversation finit donc sur des franges de politesse.  Le monde me trouve égoïste, poche ou peureuse, mais ça servirait à quoi de me justifier?

Ma petite Merveille a mis 5 FIV avant de voir le jour.  C’est quatre échecs et un jumeau perdu.  C’est un cycle même pas compté ni complété parce que malgré les doses hallucinantes d’hormones qu’on me donnait, mon corps refusait de coopérer.  C’est des centaines de seringues qui laissaient derrière elles des constellations d’ecchymoses sur mon ventre.  C’est des centaines de matins cachant derrière eux des centaines d’examens.  C’est des milliers de dollars shootés autour de mon nombril. C’est des grands carnavals d'hormones fuckées qui crissent le bordel dans mon corps, ma tête et mes journées.  C’est mon corps et notre intimité désincarnés, médicalisés. C’est de grands espoirs qui se cassent la gueule et qui finissent dans le bureau du psy du département de procréation assistée. 

Chaque fois, j’ai dû me reconstruire en sachant bien que le bulldozer pouvait repasser.  Le prochain traitement a toujours le potentiel d’être la meilleure chose qui puisse vous arriver.  Ou la pire.  Et s’engager de nouveau, c’est accepter cette dualité.  C’est ça, le deal.  C’est ça, le gamble.

Un peu après la naissance de ma fille, je me suis regardée en pleine face et j’ai été franche avec moi-même.  L’envie de voir la p’tite bercer une sœur ou un frère ne se mesurait tout simplement pas avec mon incapacité à reprendre les traitements.

 

J’ai fait ce choix. Celui de ne plus partir à la guerre. L’enjeu est trop grand, la reconstruction de plus en plus difficile.  Au ministère de la personnalité en miette, j’ai déjà assez donné.
J’y suis déjà allée.  Plus qu’à mon tour.  Et je ne suis pas revenue les mains vides du combat. J’ai une fantastique loutre frisée qui aime Pierre Lapointe et le saumon fumé.

Vous, le deuxième, c’est pour quand?