J’ai eu l’immense bonheur de vivre en fusion avec ma fille cinquante-quatre semaines complètes. Je me suis levée chaque matin en me sachant privilégiée de vivre dans un endroit où l’on reconnaît l’importance de la présence d’un parent auprès de son bébé, au cours de sa première année de vie. Je me suis couchée chaque soir en sachant que rien ne saurait réellement me préparer à la difficile séparation du quotidien que nous devrions éventuellement subir vivre.
 
Et pourtant, nous y voilà tout de même! À ce tournant de ma jeune vie de maman, ce tournant que je n’arrive pas à accepter. Il y a quelque chose avec ce concept d’aller travailler, pour gagner des sous, pour pouvoir payer quelqu’un qui s’occupera de votre enfant à votre place, qui me tiraille par en dedans. J’ai beau le retourner de tous les côtés, ça n’a pas plus de sens.
 
Bien entendu que je gagnerai plus de sous dans une journée de travail qu’il n’en faut pour couvrir les frais de garde quotidien, et après? Ça ne me console pas. Ces sous si précieux ne pourront jamais remplacer ce sourire au réveil des siestes que je manquerai. Pas plus que ces petites mains qui grimpent le long de mes jambes et sa tête avec sa bouille beaucoup trop craquante qui se faufile entre mes genoux pour venir me dire coucou.  
 
Bien entendu que ce sera reposant de pouvoir dîner tranquillement, boire mon thé chaud et être capable d’aller à la toilette deux minutes seule. Pourtant, ce ne sera jamais suffisant pour compenser tous ses petits exploits du quotidien qui m’échapperont maintenant. Et ça ne mettra pas un baume, pour toutes ses fois où elle m’appellera en pleurant et où je ne serai pas là pour lui faire ce câlin.
  
Je ne dis pas que c’est facile de s’occuper d’un bébé. Au contraire, c’est exigeant. C’est du temps plein avec du temps supplémentaire régulier de nuit. Je ne dis pas que c’est toujours rose être en congé de maternité. Bien entendu qu’il y a beaucoup de moments où nous avons peur de craquer tellement nous sommes épuisées. Je dis simplement que même si mon corps est fatigué et en a bien besoin de cette pause physique, mon cœur, lui, en veut toujours plus de cet amour fusionnel du quotidien.
 
J’aimerais être cette courageuse maman, heureuse de retrouver ses occupations professionnelles et ses collègues. Cette femme qui a le sentiment d’avoir tout donné à son poupon au cours de cette dernière année et qui est maintenant prête à retourner au travail pour s’épanouir dans une autre sphère de sa vie. Cette mère qui pense régulièrement à son bébé à la garderie, mais qui est capable de sourire parce qu’elle a la conviction qu’il s’épanouit aussi de son côté dans un endroit stimulant.
 
J’aimerais être cette courageuse maman, heureuse de rester à la maison à temps plein avec son jeune enfant. Cette femme qui a osé faire les sacrifices financiers qui s’imposaient pour pouvoir rester au foyer s’occuper de son bébé, en choisissant de faire primer sa famille avant tout. Cette mère qui ne pense pas aux opportunités professionnelles qu’elle manque et qui se sent fière dans ce rôle.
 
J’aimerais être l’une ou l’autre. N’importe quoi sauf me retrouver entre les deux, dans cette position inconfortable et désagréable qui me déchire le cœur. Je m’y habituerai, semble-t-il. Tout le monde le dit, tout le monde le fait, ça doit être vrai. Mais est-ce vraiment ça la vie? S’habituer?