J’ai toujours beaucoup écrit. Depuis que je suis enfant, je noircis des tas de carnets et de journaux intimes. J’y note mes pensées, mes aspirations, j’y démêle mes idées, je raconte mon quotidien. Mais ça, c’était avant l’arrivée de mon bébé. Maintenant que je suis mère, je n’écris presque plus.
En une année, je ne compte que 13 entrées dans mon journal. Quand je les relis, je me dis que cette première année de maternité a été pas mal plus rushante que ce à quoi je m'attendais. Voici le journal de mon désarroi.  
 
 
11 mars : 7 semaines aujourd’hui depuis la naissance de ma petite
 Je me sens si seule. Je SUIS si seule.
 
J’écris ça, je retiens mes larmes. Mais en fait, je les retiens depuis ce matin, depuis que l’amoureux est parti pour le travail. Il a tiré la porte derrière lui, ça a fait un son de courant d’air qui se sauve, et on aurait dit que tout l’air de l’appart était parti dans ce courant d’air. Et puis après, plus rien, le silence, quoi. Moi, Petite, et le silence d’un appart sans air.
 
Je ne pensais pas que ça allait être si dur. La maternité, le congé, tout ça.
Je pensais que j’allais aimer ça.
C’est pas que j’aime pas ça.
C’est juste que je me sens si seule.
Seule devant mon bébé, seule avec mon bébé.
Seule devant ma journée.
 
Au moins, quand Petite pleure, le silence s’enfuit.
 
23 mars
Aujourd’hui, j’ai fait ma marche et j’ai remarqué que notre poussette est de la même couleur que le trottoir. On aurait dû la prendre bleue ou rouge, ça aurait mis un peu de gaieté dans la grisaille d’un printemps qui tarde.
 
Petite dort dans la balançoire.
Quel objet hideux, mais pratique, que cette balançoire à piles. J’aurais jamais cru avoir un truc pareil dans mon salon.
 
J’ai sorti du congélo un plat préparé par ma sœur.
J’ai plié du linge et j'ai fait partir un autre lavage.
C’est pas mal ça.
 
3 avril
J’avais besoin d’une pause, juste d’une petite pause. On devait sortir pour la fête de l’amoureux, prendre un verre, décrocher… mais non. Petite ne veut rien savoir du biberon. Personne ne nous avait dit que ça se pouvait que, quand on allaite, le bébé n’accepte pas de boire au biberon.
 
Je voudrais juste sortir de chez moi. Être seule plus d’une heure.
 
16 avril
J’ai mis ma playlist d’accouchement et j’ai bien pleuré.
Je pleure encore en fait.
Ça fait du bien de pleurer, on dirait que je me retiens plus qu’avant.
 
C’était si magique, ta naissance, Petite. Les étoiles brillaient sur la ville, et tu as poussé un petit cri aigu, comme un cri de fauconneau.
 
17 avril
L’amoureux a encore une réunion ce soir. Ça, ça veut dire qu’à mes huit heures de solitude habituelles s’ajoutent trois heures de solitude de plus.
 
J’ai mis la radio.
Ben oui, j’écoute la radio maintenant. Je connais tous les animateurs, les chroniqueurs et les envoyés spéciaux. Le bulletin de nouvelles, c’est le même à toutes les heures. Et Philippe Fehmiu, il est de ben bonne humeur.
 
J’aurais envie de faire du yoga. J’ai pas fait mon yoga depuis l’arrivée de Petite. Je le faisais chaque matin avant.
Mon périnée doit être rendu correct, je trouverai le temps.

26 avril
Je nous ai inscrites à un cours de natation.
Ça me fait : cardio-poussette mercredi, natation jeudi, et j’ajouterai sûrement bientôt le yoga maman-bébé le mardi.
 
Il faut que je m’occupe, que je sorte de chez moi.
Ça, et mes marches quotidiennes, ça devrait aller.
 
1er mai
Le printemps s’éveille sur les sourires de mon enfant.
C’est mon enfant. Elle est là, tout près, elle roucoule.
Et moi, je peine à sentir quoi que ce soit.
Je ne sens rien.
 
JE NE SENS RIEN.
 
Je suis comme bloquée.
J’espère qu’elle ne le sent pas.
Je ne veux pas qu’elle le sente.
À quel point je trouve ça difficile, devenir mère.
 

À suivre...