C'était un jeudi. Un accouchement provoqué, c'est avoir rendez-vous avec son bébé. Ça a un aspect surréel parce que l'excitation côtoie la peur de l'inconnu. Après tout, ma grossesse n'avait pas encore atteint la 37e semaine. Comme le mentionnait mon accompagnante à la naissance, nous ne savions pas si cette petite était prête, elle, à quitter son nid. Il faudrait la convaincre pour que tout se fasse en douceur. Et effectivement, cet accouchement a été un travail d'équipe pour faciliter sa venue au monde.
 
C'était à 9 h. Mon conjoint et moi échangions des regards fébriles et complices. Le docteur a crevé ma poche des eaux, non sans résistance. Cette maladie de grossesse me faisait douter de mon corps, de ma capacité à porter un enfant à terme. C'est l'acharnement de cette membrane à protéger mon bébé qui m'a soudainement fait reprendre confiance. Ça va bien aller.
 
Les infirmières m'ont installé toutes sortes de cathéters, solutés et tubes intraveineux pour m'administrer l'ocytocine synthétique ainsi que l'antibiotique pour le streptocoque B. Elles ont aussi ajouté deux moniteurs : un pour suivre les battements du cœur de bébé et l'autre pour connaître l'évolution des contractions.
 

J'avais l'air de Neo dans The Matrix. Je devais demander d'être débranchée à chaque fois que je souhaitais aller aux toilettes.
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Sous l'effet du Pitocin, le travail a démarré lentement. Mon corps réagissait bien, assez pour que Mélanie, l'infirmière de cœur qui nous a assistés, réduise la dose quelques fois en cours de journée. Elle souhaitait que les contractions s'installent progressivement, que je m'habitue peu à peu aux vagues et à l'intensité. Cette attention m'a touchée.
 
C'était vers 14 h. J'ai commencé à ressentir des élancements derrière les cuisses. Je ne pouvais plus demeurer couchée ni assise. Je croyais que les contractions se feraient sentir dans le bas du dos ou sous le ventre, jamais dans mes cuisses. Mon conjoint me prenait doucement dans ses bras, Mélanie et lui me faisaient des points pression pour diminuer la douleur. Je retrouvais un certain confort sur le ballon, mais, à partir de cet instant, les moments de répit sont devenus brefs. Je focussais mes pensées sur la venue prochaine de bébé.
 
C'était à 18 h. Le souffle court entre chaque serrement de mon corps, j'ai appelé en renfort Julie, mon accompagnante. J'écris renfort, mais le mot juste est réconfort. Elle a éteint les lumières et le son des moniteurs à son arrivée. Elle a transformé ma chambre d'hôpital en havre de paix, me permettant de me concentrer sur chaque vague.

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Julie a écouté mes besoins, ma douleur et chuchoté des suggestions. Quand elle a vu passer la peur et le doute dans mes yeux, elle a proposé à mon conjoint des positions de suspensions pour me soulager. Je ne me sentais pas seule, j'étais réconfortée et soutenue par leur présence.
 
C'était vers 20 h. Julie a suggéré le bain pour me permettre de me reposer physiquement avant la poussée. Dans l'eau, les vagues sont devenues des tempêtes incessantes. Ma voix produisait des sons qui m'étaient étrangés. Pour ne pas succomber à la crainte, je visualisais la descente de bébé et je me répétais « J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi… » Dans ces moments fatidiques, le moral puise sa force dans des lieux familiers.
 
C'était à 20 h 50. À la sortie du bain, je ressentais le besoin d'aller aux toilettes. La panique s'est installée chez le personnel de l'hôpital. J'en déduisais que c'était le signal : bébé était prêt à sortir.
 
Mon accompagnante a suggéré à mon conjoint de s'installer derrière moi pendant la poussée puisque mes contractions se faisaient sentir encore fortement dans mes cuisses. En m'aidant à m'étirer, il a favorisé l'efficacité de mes poussées.
 
C'était à 21 h 34. Une petite puce, toute grise, pleine de vernix et merveilleuse, déposée sur mon torse. Au travers des larmes et de la fierté, les seuls mots qui me sont venus, scellant ce moment d'éternité : « Amoureux, c'est notre bébé. Amoureux, c'est notre bébé. »