Elle s’appelait Françoise. Je l’ai portée pendant 40 semaines et 5 jours parfaits. J’étais sereine et j’attendais avec impatience son arrivée. Des trucs de grand-mère pour accoucher. Je perdais mon bouchon muqueux et j’étais légèrement dilatée : d’un jour à l’autre, ça y était. Le 8 mars, après un rendez-vous de routine chez le docteur où on a entendu battre son petit cœur, je fis une hémorragie de retour à la maison. Ambulance. Arrivés à l’hôpital, on n’entend pas le cœur du bébé. Césarienne d’urgence. Brume.

À mon réveil, Françoise et mon amoureux sont à Sainte-Justine, alors que j’ai accouché à Saint-Luc. Accouché. Ça m’a pris du temps à intégrer ce mot, à dire que j’avais accouché d’elle. Le geste était tellement médical, chirurgical. Une opération. J’ai eu longtemps du mal à dire que j’avais donné naissance. La mort était tellement près.

C’est un décollement massif du placenta qui a eu raison de Françoise. Elle a vécu une trentaine d’heures. Elle est née le 8 mars, et est décédée le 9. Une vie entière en une journée. Et le 9 mars, c’est la journée internationale des Françoise.

C’est une histoire de fous. J’arrive encore mal à comprendre que c’est la mienne. Celle de ma famille. Je voulais aujourd’hui la partager parce que j’ai été tellement démunie quand ça s’est produit. J’ai tellement peiné à trouver des ressources. À me reconstruire. J’ai été tellement en colère, triste, désespérée, dépressive même. Je me suis sentie tellement isolée du monde. Je voulais aujourd’hui partager mon histoire, mais surtout construire un petit guide de survie au deuil périnatal. Pour aider. Parce que ça prend des ressources pour limiter les séquelles. Parce que j’ai tellement été bien entourée, parce que je suis tellement privilégiée.

Quand se produisent de tels événements, on est soufflés. Gelés. À mon réveil à Saint-Luc, une médecin, pour protéger ma santé, mais aussi pour laisser de la place aux femmes qui accouchent à Sainte-Justine, s’est opposée à mon transfert à Sainte-Justine. L’amie qui était à mon chevet, ainsi que mon amoureux, à distance à Sainte-Justine, ont dû faire des pieds et des mains pour que je sois transférée. Françoise aurait pu mourir sans que je ne la voie. Cette seule pensée me donne une peine immense.

C’est avec l’utérus scié et fortement anémié de mon hémorragie que je suis arrivée à Sainte-Justine pour enfin voir mon enfant, presque 24 heures après sa naissance. J’étais dans un état pitoyable. Mon conjoint, à peine mieux. Je n’arrivais pas à m’asseoir pour voir mon bébé. Le retrait de la sonde urinaire posée lors de la césarienne m’a fait uriner presque sans arrêt pendant près de 3 heures. C’est dans cet état qu’on nous a expliqué ce qui se passait. Et c’est dans cet état que nous avons été exposé aux décisions que nous devrions prendre (dons d’organes? qui pourra la visiter?).

Françoise est morte dans nos bras cette nuit-là.  Elle est partie tellement doucement. Comme assoupie. C’est cette image que je porte toujours en moi. Son petit corps chaud qui s’éteint, au creux de mes bras. Françoise. Plus belle que l’aurore.

J’en profite ici pour remercier la Dre Barbara Reichetzer qui m’a suivie avant et après ma grossesse, et le personnel médical de l’unité de néonatalogie de Sainte-Justine. Ils ont porté ma famille avec attention et délicatesse. Je les remercie d’avoir soigné Françoise. Son séjour ici fut doux grâce à eux. Merci aussi de nous avoir aidés à trouver les mots pour expliquer la mort de sa petite sœur à notre aînée, Simone. Merci de nous avoir préparés au départ de Françoise. De nous avoir parlé des transformations dans son corps, de son dernier souffle, pour qu’on n’ait pas peur. Pour qu’on puisse l’accompagner jusqu’au dernier moment sans être effrayés par la mort. Merci de nous avoir dit qu’on était déjà attachés à elle pour nous permettre de vivre pleinement à ses côtés. On peut avoir peur de l’attachement quand ça se produit. Peur que ce soit plus difficile de nous séparer si on la prend dans nos bras. En nous disant que nous étions déjà attachés à elle, nous avons pu être avec elle avec tout notre cœur, sans avoir peur. Merci d’avoir fait tomber nos peurs. Ça nous a permis d’être des meilleurs parents.

Dans les textes qui suivent, je tenterai de mettre en place un petit guide à l’attention de soi, et à l’attention des autres.

Partie 2 - Des ressources à l'attention de soi
Partie 3 - À l'attention des autres