C’est au son de ses petits orteils tapotant le plancher que mes yeux s’ouvrent chaque matin.
Je n’ai plus besoin de réveil depuis son arrivée : ses enjambées balaient mes paupières et glissent entre mes draps la météo que me réserve la journée.

Il fait beau, il pleut, c’est nuageux, ça se dégagera.

Puis, il y a ce moment, court, où je ne sais quel jour on est. Lundi? Samedi? Avant que la réponse ne se fixe, j’ai droit à mon premier câlin. Celui qui sent la brioche et la comptine. Celui que je reçois sans encore savoir si je travaille ou pas. Celui qui me portera quand ma face de job embarquera.
 

Les câlins, attrapez-les tous.
Crédit : Giphy

Ma position sur le calendrier me rattrapera, bien sûr. Tout comme mon café et ses miettes de déjeuner sur le tapis fraîchement nettoyé. 

On s’habillera. On se peignera. On se pressera. J’épongerai une flaque de jus, deux ou trois caprices.  Elle voudra attacher ses chaussures toute seule. Ça prendra 15 ans. J’perdrai peut-être patience.
On se séparera à la garderie, sans trop le vouloir. Elle s’accrochera à mon cou, elle voudra un dernier bisou, j’en voudrai un autre encore. L’éducatrice nous regardera sidérée, l’air de se demander qui est l’adulte et qui est la 3 ans. Ça fera scroutch, elle m’enverra la main par la fenêtre, je la saluerai longtemps dans la voiture après être sortie de son champ de vision. 

Arrivée au travail, je recommencerai à faire des phrases compliquées avec plus de COD qu’il n’en faut pour avoir une syntaxe en santé. J’utiliserai l’impératif et le conditionnel pour dire autre chose que « fais pipi » ou « j’aimerais que tu ranges tes jouets ». J’aurai du plaisir à le faire. À débattre. À réfléchir. À écrire, compter, concevoir.  J’irai aux toilettes sans me faire déranger. Ça sera mon bonus pour la journée.

Ça ne m'empêchera pas de me souvenir de cette musique de petits pieds qui me suivra pourtant toute la journée. 

Crédit : AJPittsley/Flickr
 

D’abord comme un écho diffus, puis comme un concerto pour dix-huit roues diesel en fa majeur. Ça s’amplifie. Je vois ses miettes de déjeuner sur le coin de mon bureau. J’ai maîtrisé le tiraillement du travail et de l’ennui, ça va, mais seulement parce que je sais que sous peu, je la retrouverai.

Les minutes qui fondent d'ici notre rencontre, qui gouttent au son de la pluie qui ne s’est finalement pas dégagée, c’est comme la larme émue de ma journée quand elle finit par, à nouveau, m’enlacer une fois la porte du local de la garderie tirée.

Je sais que la soirée n’est pas gagnée, qu’on aura des hauts et des bas, elle et moi.  Que je penserai sûrement au travail. Qu’on négociera pour des brocolis, l’heure du bain, le nombre d’histoires à lire et le nombre de fois où je rallumerai la veilleuse qui s’éteint aux quatorze osties de minutes.

Mais je sais aussi que ce moment où nous nous sommes retrouvées cache quelque chose qui nous dépasse. L’amour que l’on a l’une pour l’autre et notre habileté à nous servir de ces petits ancrages pour faire en sorte qu’on puisse se laisser et s’éloigner toute la journée sans craquer.

Ce qui pourrait arriver si je ne la retrouvais pas à la fin de la journée
Crédit : Giphy

Peu importe ce qui se passe avant ou après, je sais que ce moment nous appartient. Le reste peut être tempête, boue crottée, catastrophe annoncée, si je l’ai retrouvée, je suis prête à tout affronter. Avec ou sans récompense sucrée.

C'est quoi votre moment préféré de la journée?