Je sais que je suis vraiment chanceuse : j’ai eu un bel accouchement, rapide et efficace. Et surtout, mon bébé est né à terme et en santé. Nous avons eu notre congé de l’hôpital après seulement 24 heures, mais les jours qui ont suivi m’ont fait découvrir la section de néonatologie de l'hôpital. Ma fille a fait une jaunisse et a dû être hospitalisée d’urgence à moins d’une semaine de vie.

Crédit : Caroline Dawson
 

On a pris mon bébé, on l’a mis dans une couveuse à photothérapie et en la voyant si démunie sous la lumière bleue avec un masque lui bandant les yeux, j’ai éclaté en sanglots. J’ai alors vu le regard désapprobateur de l’infirmière spécialisée en néonat. Un air de « t’es bien fragile, tu devrais te compter chanceuse. Regarde autour de toi, les autres bébés. » C’était vrai. Mes craintes n’avaient absolument rien à voir avec celles des mamans de bébés prématurés qui peuplaient l’aire des bébés tout neufs qui avaient besoin de soins particuliers.
 
Il n’en reste pas moins que même si mon bébé n’était pas gravement atteint, moi j’étais morte d’inquiétude et de fatigue.
 
J’aurais du être allongée à la maison, avec ma fille qui venait de naître, mon plus vieux de 4 ans et mon conjoint, tranquillement à me remettre de mon accouchement. Mais non, la vie en avait décidé autrement. J’étais seule, debout, dans un hôpital triste, à me faire un sang d'encre pour ma petite que je ne pouvais même pas prendre dans mes bras.
 
Je suis restée à ses côtés, sans la quitter, sans presque cligner des yeux durant 27 heures. Debout ou assise sur une chaise à côté de son petit salon de bronzage portatif, je n’ai pas dormi durant tout ce temps, scrutant chacune de ses respirations, regardant chacun de ses mouvements. Chacune des minutes qui me séparait de la prochaine fois où je pourrais la prendre pour l’allaiter me rentrait dans la peau : 180 minutes, 179, 178… Puis, arrivait enfin le moment où je pouvais la sortir de sa petite prison lumineuse.
 
J’avais alors 30 minutes pour l’allaiter en faisant du peau à peau. Ce moment où je la mettais au sein me calmait. Enfin, je respirais. Exténuée et affaiblie, ma petite tétait du mieux qu’elle pouvait, mais boire la fatiguait. L’infirmière venait déjà me dire de la déposer sous la lumière, les 30 minutes passaient si rapidement. Je continuais alors à la nourrir au biberon, avec le lait que j’avais tiré précédemment.

Crédit : Caroline Dawson

 
Je devais ensuite tirer mon lait pour la prochaine séance. Je m’installais derrière le rideau et là, assise, seule devant la machine Medela, je m’écrasais. Le moral au plus bas, ma petite ne serait plus dans mes bras pour un autre trois heures : 180 minutes, 179, 178… J’expulsais le lait de mes seins qui ne demandaient que de retrouver mon enfant. J’étais seule, dans cette salle bizarre. Je regardais ma fille derrière la vitre, son petit masque pour protéger ses yeux. Ça me brisait le cœur.
 
De façon mécanique, j’allais ensuite ranger mon lait dans le frigo, laver chacune des parties du tire-lait et stériliser le tout dans le micro-ondes. Cette marche qui me séparait du lieu où était ma fille à la cuisine me semblait interminable. J’en profitais pour aller aux toilettes. Je me regardais dans le miroir et je ne me reconnaissais pas. C’était qui, cette femme usée? C’était en tout cas la seule fois où je la quittais des yeux.
 
Après une journée et une nuit complètes, nous avons pu avoir notre congé. L’infirmière est venue me voir et m’a dit : « Je t’ai vue. Tu ne l’as pas quitté des yeux de toute la nuit. Je me suis trompée : vous êtes forte, Madame Dawson. ». Et là, j’ai dormi plus profondément que je ne l’avais jamais fait… jusqu’à son prochain boire, deux ou trois heures plus tard.