Ça semblait être une soirée comme les autres. Je finissais de ramasser la vaisselle du souper pendant que mon chum descendait au sous-sol avec mon plus vieux. Je me souviens avoir poussé un soupir quand j’ai remarqué qu’il avait laissé la barrière ouverte en haut des escaliers. Je suis allée la fermer, j’ai sorti ma cocotte de 9 mois de sa chaise haute et je l’ai déposée par terre.

J’avais à peine le dos tourné que j’entends un premier « boum », suivi d’un autre et d’un troisième à intervalles réguliers. Je n’avais pas bien verrouillé la barrière. Quelqu’un m’aurait dit que c’était possible de descendre les escaliers à une telle vitesse que je ne l’aurais pas cru. Je suis arrivée au sous-sol et j’ai croisé le regard paniqué de mon chum, qui avait lui aussi accouru. Ma fille était face au plancher, en train de hurler. Il était évident, d’après l’endroit où elle se trouvait, qu’elle avait manqué les cinq dernières marches.

Un examen physique rapide ne démontre rien d’alarmant. Mais 10 minutes après la chute, elle est toujours inconsolable, malgré nos efforts pour la calmer. Direction l’urgence.

En arrivant à l’hôpital, tous les regards se tournent vers moi. J’essaie d’enterrer les hurlements de ma fille pour expliquer la situation à l’infirmière qui nous accueille. Plus de 45 minutes se sont écoulées depuis qu’elle est tombée, et elle pleure tellement fort qu’elle s’étouffe avec sa salive et vomit la totalité de son souper sur mon chandail. Juste avant de se faire appeler pour le triage.

Craignant une commotion, ils ne prennent pas de risque et nous donnent directement un lit à l’urgence. C’est cachées derrière un rideau avec des lumières tamisées que je réussis enfin à la calmer. Vient ensuite le médecin qui l’examine de tous bords, tous côtés, à la recherche du moindre bobo. Je lui décris le fil des événements avant qu’il commence à me poser des questions. Elle a des frères et sœurs? Sont-ils en santé? Je suis encore en couple avec le père? Est-ce que l’ambiance est bonne à la maison?

C’est à cette dernière question que j’ai eu un déclic. J’étais en train de passer un questionnaire pour détecter les potentiels cas de DPJ. J’ai répondu oui à sa dernière question, mais j’ai menti. Mon fils avait des problèmes de santé et avait dû se faire retirer un rein 3 mois plus tôt. Nous venions tout juste de terminer une série de quatre à cinq rendez-vous médicaux par semaine. Comme si ce n’était pas assez, nous vivions dans notre salon depuis presque 4 mois, à cause d’un dégât d’eau au sous-sol que les assurances tardaient à venir réparer. L’ambiance à la maison était mauvaise. Nous étions épuisés, inquiets pour la santé de notre grand garçon, à bout de vivre dans l’équivalent d’un petit appartement 3 1/2 avec deux enfants et deux chiens.

Le médecin est revenu me voir après les radiographies. Elle avait une fracture du crâne. Petite, mais présente. Pas de signe de commotion. Aucun moyen de savoir si elle garderait des séquelles et rien à faire pour la guérison. Je l’écoutais parler sans réagir. Je n’avais versé aucune larme depuis que j’étais arrivée. J’étais dans un autre monde. En mode survie, complètement déconnectée.

Une résidente et une infirmière sont venues plus tard pour me poser les mêmes questions. Je savais que je n’avais rien à me reprocher, outre le fait d’avoir mal fermé la barrière. Mais j’avais la peur au ventre. Il était évident que j’avais menti à la dernière question. Est-ce qu’ils allaient interpréter mon manque de réaction apparente comme un signe? Je m’attendais d’un instant à l’autre à voir débarquer les services sociaux pour m’enlever mon bébé.

Même en sachant que ce protocole est nécessaire et a permis de sauver beaucoup d’enfants, c’est très intimidant. Je me souviendrai toujours de l’angoisse qui m’a habitée cette nuit-là.

Avez-vous aussi vécu une situation semblable? Comment avez-vous réagi?