« Quand est-ce qu’on a arrêté de s’enlacer? Avant ou après les enfants? », que je lui ai demandé un matin où je constatais les kilomètres qui nous séparaient l’un de l’autre, de chaque bord de la table.
 
Les enfants jouaient ensemble et j’avais le temps de penser et d’occuper le présent de nous deux.
 
Il a levé les yeux de son téléphone. La gorgée d’informations sur la vie des autres lui est passée de travers.
 
« Quand est-ce qu’on a arrêté de se rêver? À quel moment on s’est épris d’une routine sécuritaire? » Ça sortait sous forme réquisitoire. C’était peut-être trop pour un samedi 8 h, juste avant les cours des enfants à l’horaire familial.
 
Je l’ai vu furtivement annuler la fonction cruise control du déjeuner. Il avait besoin de réactiver la conduite autonome, de réagir rapidement à l’électrochoc que je venais de déclencher.
 
Mille pensées passaient devant ses yeux, mais aucune n’empruntait la voie orale. Je le sentais hésiter entre les accusations, les excuses, l’honnêteté et la peur.
 
Un mouvement des épaules, un soupir relâché, il m’a répondu : « Je sais pas. Je pense que tout ça, c’est devenu beaucoup. »
 
Je savais ce que c’était tout ça : des priorités qui changent, de l’amour filial prenant, des compromis à quatre, des emplois demandants, du temps pour soi et de l’investissement dans tout, sauf dans nous.
 
Je savais aussi ma part de responsabilité. J’avais autant besoin que lui de fuir le quotidien. C’était lourd, trop souvent, trop tout le temps.
 
C’est la crainte qui occupait mon esprit : « Ils sont où les papillons qui naissent des baisers? Les frissons quand tu effleures ma cuisse? J’ai besoin de ça aussi, pour que le reste ne prenne pas toute la place. »
 
Il m’a regardé. Un temps. Nous nous sommes vus.
 
J’ai marché les kilomètres pour l’enlacer. Blottie dans son creux d’épaule, je sentais les braises nous renvoyer des reflets ardents. C’était pas fini. Il y avait encore assez d’amour pour faire un feu.