Malgré des épisodes d’intimidations à l’école, une petite sœur qui prenait beaucoup de place auprès de mes parents de par ses mauvais comportements, une mère exigeante, un père effacé, mais présent, j’ai eu, somme toute, une enfance heureuse.

L’alcoolisme, ça run dans ma famille. Plus jeune, je ne m’apercevais de rien. Il n’y avait pas d’effet négatif dans ma vie et mes parents buvaient une fois de temps en temps, mais à l’excès dans les partys de famille.

J’ai grandi et quitté le nid familial. Ma petite sœur a suivi quelques années plus tard. On dirait que c’est là que j’ai remarqué. Est-ce que ce sont mes yeux d’enfant devenus adultes qui ont finalement remarqué? Je ne sais pas. L’alcoolisme, ça arrive sournoisement. Je venais voir mes parents la fin de semaine et ma mère buvait facilement une bouteille de vin le vendredi ET le samedi. Mon père, c’était la bière.

Ensuite, ils commençaient à boire plus tôt dans la journée. Ça regardait l’heure, comme si elle leur donnait la permission de consommer leur vice. 12 h 00 sonnait, la bouteille de vin ouverte, la bière décapsulée, et ça n’arrêtait pas avant le soir, endormis sur le sofa, ronflant leur alcool de la journée.

Le temps de la retraite arriva. Plus rien ne les empêchait maintenant de boire pendant la semaine. Les bouteilles de vin ne suffisaient plus. C’est à coup de 4 litres de vin en deux jours que ça se passait. J’avais de moins en moins envie de passer du temps avec eux.

L’alcool modifie le comportement. Ça altère le jugement, inhibe les émotions. Avoir une conversation normale virait toujours en larmes et en crises. Mes parents me glissent entre les mains et j’peux rien faire. J’ai souvent essayé de leur en parler. Un nie, l’autre dit oui oui, mais continue.

Maintenant, je suis maman de deux magnifiques enfants. Je pensais naïvement que ça allait les changer. Qu’ils allaient voir en eux quelque chose de plus grand, plus fort que leur alcoolisme. Est-ce que la petite fille en moi espérait, en silence, retrouver ses parents d’antan? Sûrement.

Sauf que ça continue. Puis il me semble que c’est pire. J’suis tellement en colère contre eux. Les promesses d’ivrognes de venir visiter leur fille et leurs petits-enfants ont usé mon espoir à coup de larmes silencieusement ravalées.

J’aimerais être capable de leur demander de venir garder mes enfants. Créer des souvenirs avec eux. Mais je ne peux pas. Je ne veux pas. J’ai pas confiance. Oui, ils m’ont élevée, mais il n’y avait pas l’alcoolisme pour le faire avec eux. Et s’il arrivait quelque chose à mes enfants et qu’ils ne sont pas capables de réagir à temps ou de se rendre à l’hôpital?

Mes enfants sont à l’âge de comprendre et je redoute les questions : « Pourquoi grand-maman parle comme ça maman, la bouche pâteuse? Pourquoi grand-papa sent pas bon de la bouche? Grand-maman s’est endormie sur le divan. Pourquoi? »

À toutes ces questions, seule la réponse de l’alcoolisme est la bonne. Comment expliquer ça à un enfant? Comment leur dire que leurs grands-parents ne viennent pas à leurs anniversaires ou en visite parce que l’alcool prend toute la place? Quand viendront ces questions, je ne veux pas être celle qui leur mentira pour protéger ses parents.

Le vieil adage dit qu’on est parent un jour, parent toujours. Je peux affirmer aujourd’hui que même si mes parents sont encore vivants, je me sens orpheline. Puis ça, c’est tabou. On nous martèle que l’on doit respecter nos parents, coûte que coûte. J’ai envie, pour une fois, de me respecter moi et ma petite famille. Je n’ai plus envie de passer du temps avec eux parce que ce n’est plus agréable. Je n’ai pas envie que mes enfants soient témoins des ravages de l’alcool sur leurs grands-parents.

Silencieusement, j’envie toutes ces filles qui sont proches de leur mère, à qui elles peuvent demander conseil. Sur qui elles peuvent s’appuyer quand elles ont besoin de réconfort. Parfois, la petite fille en moi aurait juste envie de se faire bercer par son parent. Se faire dire que tout va bien. Qu’ils sont fiers du parent que je suis pour mes enfants.

Au lieu de cela, je regarde l’alcool me voler mes parents et dérober à mes enfants le plaisir d’avoir des grands-parents présents autrement qu’embués par les vapeurs d’alcool.