Je suis l’aînée d’une grande famille. En tout, sept enfants pour un seul couple de parents. Chez nous, il y avait du bruit, des traîneries, beaucoup d’amour et de la camaraderie. Mon conjoint aussi vient d’une grande famille. Mon enfance, il la comprend mieux que bon nombre de gens de mon entourage.

Je ne peux pas concevoir ce qu’est la vie d’un enfant unique. Mes deux sœurs, ce sont mes meilleures amies. Et mes petits frères, une source de fierté, comme si j’étais leur maman. Certes, ce n’était pas toujours facile et je me suis beaucoup chicanée avec eux. Mais ils ont une si grande place dans mon existence qu’une vie sans eux serait incroyablement vide.

Il aurait semblé normal que j’aie moi-même une grande famille, comme si cela allait de soi. Quand j’ai mis au monde mon petit poulet, jamais je n’aurais cru qu’il s’agirait de mon seul enfant. C'était un bébé facile, calme, qui a fait ses nuits à deux mois. Le genre de bébé que je souhaite à toutes les mères. Un an après sa naissance, j'étais prête à revivre l'aventure. Dans ma tête, j’en aurais eu encore un ou deux autres. Dans celle de mon chum, c’était un autre. Mais, pour nous deux, la famille ne s’arrêtait pas là. Pourtant, il s’avère qu’on n’avait pas en main les cartes pour jouer la game de la grande famille.

La vie, avec ses surprises et ses caprices, n’a pas jugé bon de nous offrir un autre bébé. Alors que la réalité d’un enfant unique m'apparait impossible à concevoir, je dois l’apprivoiser pour ma fille.

Mon deuil de ne pas avoir un autre enfant a été long et compliqué. En toute honnêteté, il n’est pas terminé, et je ne sais pas s’il le sera un jour. Même si j’ai beaucoup cheminé, il m’arrive de ressentir une vague d’émotions lorsque j’en parle. Inconsciemment, je l’attends toujours, mon petit poulet numéro deux. Et j’ai l’espoir que ça aurait été un garçon. Son prénom est choisi, et je me l’imagine souvent comme une réplique de son père, blond, bouclé et débordant d’énergie. Lorsque je me projette dans l’avenir, je me vois en grand-mère souriante, accueillant ma fille et mon fils à la maison. Telle est ma famille de rêve. Ma famille que je n’aurai pas.

Car voilà la triste vérité. Ce fils ne sera jamais là. Le mot deuil n’est pas trop fort. Lorsque j’en parle, maintenant, j’ai mal. C’est comme s’il était mort, avant même d’avoir existé. Un peu comme lorsqu’on doit apprendre à vivre suite à la perte d’une personne qu’on a beaucoup aimée. Les gens de mon entourage ont essayé de me raisonner, de me consoler. De me dire qu’au moins, j’avais eu la chance d’avoir une fille magnifique, intelligente, facile. Que j’aurais pu ne jamais l’avoir.Toutes ces paroles sont vraies, pleines de sens. Mais elles n’apaisent pas vraiment ma peine. Je me sens parfois injuste envers ma fille.

Chaque fois que j’apprends la grossesse d’une personne autour de moi, j’ai un sourire artificiel durant quelques instants. C’est méchant et égoïste ce que je vais dire, mais c’est mon sentiment. Je ressens de la jalousie et de l’envie pour la future maman. Bien sûr, j’ai honte après. Je finis par me raisonner et chaque nouveau bébé trouve sa place dans mon cœur.

Cela me confirme que même lorsque je dis avoir tourné la page, avoir accepté ce fait, il n’en n’est rien. Je l’attends toujours, le petit garçon qu’on a oublié de me donner. Mon petit Nicolas.