L’année tirait à sa fin et mes parents m’ont envoyé une citation qui résonne encore dans mes oreilles. « Une famille, disait mon grand-père, ce sont les parents qui se sont occupés des enfants jusqu’à ce que leurs dents poussent et les enfants qui s’occupent des parents jusqu’à ce que les leurs tombent. Une famille, c’est comme un arbre qu’on ne peut pas élaguer sélectivement. » (Boucar Diouf)

La vieillesse. Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de chacune de nos têtes. Vieillir heureux et en santé, pouvoir profiter de chaque petit moment en famille, avec ceux qu’on aime, faire nos loisirs, voyager… C’est ce que tout le monde souhaite. Mais ce n’est malheureusement pas la réalité de tous.

J’ai travaillé quelques années pour une coopérative de services à domicile pour les aînés. C’était à la fois un travail et une façon de redonner au suivant. C’est ce qui m’a permis de constater à quel point ceux qu’on aime sont parfois abandonnés lorsqu’ils vieillissent.

C’est vrai que c’est difficile, voir notre grand-mère oublier peu à peu qui on est. C’est vrai que c’est difficile, jouer aux cartes avec notre grand-oncle qui tremble de partout et a de la difficulté à s’exprimer. C’est vrai que c’est difficile, avoir une conversation avec notre grand-père qui n’arrive plus à entendre et donc à comprendre, mais a trop d’orgueil pour l’affirmer et ne fait que hocher la tête. C’est vrai que c’est difficile, pousser notre voisine dans sa chaise roulante, elle qui autrefois se déplaçait en bicyclette.

Mais si c’est difficile pour nous, imaginons à quel point ça peut l’être pour eux. La perte d’autonomie, la mémoire qui oublie, l’abandon des loisirs, l’isolement lors d’activités en groupe. Et pire encore, ils voient leurs proches perdre la bataille de la vie les uns après les autres, l’épée de Damoclès tombée parfois trop vite, parfois trop lentement, parfois sans crier gare.

Qu’ils nous aient bercés, portés, cajolés ; qu’ils aient été de passage ou très présents ; qu’ils aient été un modèle ou un exemple à ne pas suivre ; cela importe peu. Nos aînés sont nos aînés, et nous devons en prendre soin. Il suffit d’un petit coucou de temps en temps. Un appel, une courte visite, une partie de Scrabble, un tour au parc. Ma grand-mère, elle, c’était les sorties au McDonald’s qu’elle préférait à la fin, quand elle pouvait encore sortir. Comme un enfant. C’est un peu ce qu’elle est en train de devenir, en fait, un petit bébé. Elle retourne d’où elle vient.

Mais ce n’est pas parce qu’elle retourne en arrière que nous devons lui parler en bébé ou la traiter comme si elle ne comprenait rien. Parce qu’à chaque petit moment de lucidité, c’est avec la femme qu’elle est et qu'elle était que nous parlons, pas avec le petit bébé qu’elle redevient. Et je pense que cela se vaut pour bien des cas… On voit trop souvent des adultes prendre les personnes âgées pour des moins-que-rien-qui-n’ont-jamais-rien-vu-rien-connu.

Prenons le temps de discuter avec eux, de discuter d’eux. Les plonger dans de doux souvenirs, à l’époque où leurs jambes pouvaient encore danser. Parce que s’ils sont restreints physiquement, leur imagination, elle, peut encore valser.