Si vous questionnez ma mère, elle vous dira que j’étais une petite fille très difficile à table. En fait, elle n’a pas été choyée à ce niveau, ma pauvre maman. Ses trois filles étaient des expertes pour transformer l'heure du repas en véritable cauchemar

Moi, j’étais la pro de la négociation. J’étirais les minutes en longs soupirs et je marchandais le pourcentage de mon assiette devant être ingéré. Ma plus jeune sœur était une magicienne en herbe, les aliments disparaissant dans la toilette, sous la chaise ou dans l’assiette de notre frère. La première place revient à la cadette, capable de se faire vomir sur demande. Et comme on dit, la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.
 


Crédit : Giphy

 
Sans être du calibre de sa mère et ses tantes, ma fille lève très souvent le nez sur le contenu de son assiette. J’ai souvent l’impression que je lui sers une boue répugnante en guise de repas. Sans aller jusqu’à vomir (merci la vie!) elle s’aventure souvent sur les chemins de la négociation et de la dissimulation. Mais son expertise à elle, c’est le tri. Elle a la patience ou l’entêtement nécessaire pour classer les légumes d’une sauce à spaghetti. Ça doit être de famille, ces talents-là.

Bref, la plupart de nos repas étaient pénibles. Sauf si on mangeait du fromage, des frites, des toasts, du macaroni au fromage en boîte ou n’importe quelle pâte, idéalement sans sauce. Bien évidemment, je ne pouvais pas la nourrir de ce genre de nourriture tous les jours. C’est éreintant de faire face aux caprices de sa marmaille avec calme et dignité. Lorsque l’heure du souper devient une source d’angoisse, une mise à niveau est requise. J’ai évalué mes options :
 
1. Soit j’achetais la paix en lui laissant manger ce dont elle avait envie ;
2. Soit je continuais de me battre avec elle ;
3. Soit je trouvais une façon de lui faire avaler des aliments nutritifs dans la paix et la bonne humeur.

Et c’est là qu’il s’est présenté, le sauveur de notre harmonie familiale. J’ai adopté un compromis entre faire plaisir à ma fille et lui donner une nourriture saine et équilibrée. Et ce compromis s’appelle ketchup
 


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Le ketchup trône sur notre table à presque tous les repas. On doit consommer une bouteille format familial toutes les cinq à six semaines environ. En plus des classiques, mon enfant accompagne de ketchup son poisson, son ragoût de bœuf, ses œufs. J’avoue que je grince parfois des dents lorsque ma longe de porc aux pommes caramélisée à l’érable est baignée de sauce rouge. Mais, elle mange sans rechigner. Finis les larmes, les débats interminables et les scènes mélodramatiques sur ses chances de survie après avoir avalé un chou de Bruxelles.  

Le plus ironique, c’est que depuis que j’ai lâché prise et que je la laisse tout noyer dans son condiment préféré, elle ne tarit plus d’éloges pour ma cuisine. J’imagine que tout est savoureux quand ça goûte le ketchup. Tranquillement, elle progresse et s’ouvre aux nouvelles saveurs. Elle commence à comprendre qu’une asperge ne l’empoisonnera pas. Je sais qu'il y a de l'espoir... après tout, ça ne paraît plus du tout que mes sœurs et moi étions en guerre contre la nourriture. Il est difficile de croire qu’on était les reines des petits nez levés au-dessus de l’assiette il y a une vingtaine d’années.

Et, en attendant que ma fille découvre que manger est un plaisir et non une corvée, il y a mon ami le ketchup