Il se pourrait bien que le prochain examen de vos enfants ne soit plus couvert par la RAMQ à cause du conflit entre les optométristes et le ministre Barette. Pour y voir plus clair (!), je me suis tournée vers Dre Anabelle Leclerc, optométriste.​

Peux-tu te présenter?
Je suis optométriste, donc j’ai étudié 5 ans à l’université pour avoir un doctorat de premier cycle. Je suis maintenant propriétaire d’une clinique d’optométrie indépendante à Montréal. 

Que fait un optométriste?
Il faut d'abord différencier l’examen de la vue (incluant une grande partie de santé oculaire) et la vente de lunettes.

D'abord, il faut comprendre qu’autour de 60 % des optométristes sont travailleurs autonomes et donc ne touchent aucunement à la vente des lunettes. Les tarifs d’examen devraient tenir compte des coûts d’exploitation reliés à l’examen de la vue et à la qualité de notre formation et du service offert. Dans aucun cas les lunettes ne devraient servir à financer le manque au niveau des examens de la vue.

Ensuite, l'examen de la vue en tant que tel évalue plusieurs choses : vision binoculaire, la réfraction (la prescription des lunettes) et la santé oculaire. [n.d.l.r. : j'ai coupé la liste, qui prenait un paragraphe!]
 
Enfin, notre présence sur la première ligne des soins oculaires est de plus en plus grande. De manière croissante, nous devons faire des suivis ou des actes qui nécessitent des appareils plus sophistiqués et des connaissances de plus en plus poussées (nous avons une obligation de formation continue). Pourtant, ce n’est pas reconnu par le gouvernement. Par exemple, pour une urgence oculaire (conjonctivite, orgelet, blépharite, etc.), nous sommes payés 12 $, alors qu’une visite à l’urgence pour le même problème coûte 200 $ à l’État. Il me semble que le calcul est facile à faire pour voir ce qui serait rentable pour la société et le mieux pour le patient.
 
Je me doute que les examens de mes enfants sous la RAMQ ne sont pas gratuits. Comment ça fonctionne?
En ce moment, les examens de la vue complets sont payés par la RAMQ pour les enfants de moins de 18 ans et les patients de plus de 65 ans. En fait, dans ces cas, nous sommes payés à l’acte, c’est-à-dire que chaque test est relié à un montant que l’on charge à la RAMQ. En tant que propriétaire, je dois payer le loyer, les employés, les instruments, etc. Les travailleurs autonomes, quant à eux, payent, pour la plupart, un loyer aux propriétaires pour pouvoir utiliser les locaux et les instruments. 

Pourquoi vous retirer de la RAMQ?
D’abord, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous faisons cela, mais nous n’avons plus le choix, car la situation est insoutenable et le gouvernement ne montre aucun intérêt à écouter nos demandes et à considérer notre profession à sa juste valeur. En fait, à chaque 5 ans, l’Association des optométristes du Québec renégocie les tarifs que verse la RAMQ avec le gouvernement. Notre dernière entente prenait fin en 2015. Le gouvernement ne nous a autorisé à présenter nos demandes que le 13 février 2017, soit il y a un an. Il a fallu attendre ensuite 10 mois pour avoir une offre soit le 12 décembre qui était dérisoire (en deçà de l’indice des prix à la consommation à 1,5 % en moyenne par année).
 


Source : AOQ

 
Pourquoi avez-vous besoin de cette augmentation ?
Depuis les 30 dernières années, nos tarifs ont très peu augmenté, par contre nos coûts d’exploitation ont triplé, ce qui fait que maintenant, quand un patient RAMQ s’assoit sur ma chaise d’examen, je ne couvre pas mes frais. Il faut comprendre : quand un patient entre dans le bureau, il voit ma secrétaire, une assistante, fait des tests avec des machines à plusieurs milliers de dollars, je dois payer le loyer, l’électricité, etc. Tout cela donne un coût à absorber par patient. Le tarif d’un examen de la vue au public est environ la moitié d’un examen au privé soit 42 $ vs 95 $ en moyenne. C’est peu pour un professionnel de la santé avec un doctorat en optométrie. En Ontario, pour le même examen, le gouvernement paye 72 $ en moyenne, légère différence!
 
Dans le contexte actuel, les patients couverts par la RAMQ représentent environ 50 % de ma clientèle et ça risque d’augmenter avec le vieillissement de la population. Par le fait même, le gouvernement nous a accolés au pied du mur et nous n’avons d’autre choix que de se retirer de la RAMQ pour assurer la survie de notre profession.

Y aura-t-il un effet sur la population?
En tant que tel, il n’y a pas d’effet sur la population. Nous allons continuer à offrir nos services à tous et de la même façon. Le patient devra seulement payer les frais d’examen. Nous comprenons par contre que le coût peut être élevé pour certaines personnes et nous trouvons déplorable que le gouvernement ne veuille pas reconnaître l’importance de nos soins dans la santé des gens. Par contre, nous ne pouvons plus continuer dans ce contexte. Nous sommes par contre ouverts à nous réintégrer à la RAMQ si le gouvernement nous fait une offre raisonnable.

Merci beaucoup Anabelle pour ton temps! Pour en savoir plus, visitez le site de l'Association des optométristes du Québec.

P.S. Il est hyper important de passer le premier examen de la vue vers 3 ans!​
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