À ma première grossesse, mes seins avaient pris du volume et je me souviens d’un moment où je me suis dit que ma peau allait sûrement fendre tant elle était étirée. « Peut-être pas fendre, m’avait répondu une amie, mais probablement se couvrir de vergetures ». J’avais ravalé un petit cri d’angoisse, et avais continué à enduire ma poitrine de beurre de karité, d’huile d’amande douce et de tout autre produit destiné hydrater la peau étirée des futures mamans.
 
Mes seins! Mes moyennement jolis seins! J’étais prête à tenter l’allaitement, à me déposséder de mon corps encore un peu plus longtemps pour goûter l’expérience, mais j’avais déjà hâte de récupérer mes seins. Récupérer leur sensibilité, leur sensualité, leur beauté ordinaire, retrouver un peu de la continuité d’un « moi » (un moi qui traverserait l’avant et l’après-maternité) dans cette partie de mon corps qui est un des lieux de ma féminité.  
 
Quand, au moment de ma première montée de lait, mes seins ont littéralement quintuplé de volume (no joke), j’ai lâché prise sur l’enjeu des vergetures. Disons que j’avais d’autres chats à fouetter. J’ai finalement allaité mon aînée 22 mois, j’ai arrêté quelque temps pendant ma deuxième grossesse, puis j’ai allaité mon cadet 17 mois. Pendant ces presque 4 ans où mes seins avaient valeur maternelle (alimentaire, immunitaire et de réconfort), j’ai laissé de côté mes ambitions quant à récupérer mes « moyennement jolis seins », gages d’une continuité fantasmée avec un « moi d’avant ».

Mon sein > la tête de mon bébé 
Crédit : Laurence Grandbois-Bernard

Mais voilà, maintenant que ça fait quelques mois que j’ai arrêté l’allaitement, je peux vous dire que j’ai retrouvé mes seins, et même que je les trouve encore plus jolis qu’avant.
 
Quand je dis ça, je ne réfère pas à l’argument, assez courant, qui veut que nos corps soient plus beaux parce qu’ils ont donné et nourrit la vie… Nah, moi c’est pas ça. Je comprends que certaines femmes se réapproprient ou apprennent à aimer leurs corps à travers l’expérience de l’enfantement et du soin en général, et qu’il y a quelque chose de l’empowerment là-dedans. Mais en fait, pour moi c’est beaucoup plus superficiel que ça (ha!). Quand je dis que je préfère mes seins depuis que j’ai allaité, je veux simplement dire que je préfère leur forme, leur rondeur pendante, leur mollesse, leur couleur, les petites ratures qui les recouvrent… Je découvre leur nouvelle beauté, leur maturité, et j’aime ça. C'est leur histoire, leur évolution, qui me touche, et de la retrouvée écrite là, sur ma peau marquée de minces vergetures.

 

Crédit : Les folies passagères/Facebook

Je ne pense pas avoir été bien préparée, pendant ma jeunesse, aux changements que la maternité (mais aussi simplement l’âge, la vie) allait apporter à mon corps. J’avais une image assez fixe de moi-même, qui était peut-être l’image de moi adolescente (ou les images de mannequins photoshopées?) : courbes moyennes et peau lisse ; vivacité et fermeté ; sourire et regard franc. Que mon corps ait changé, change et changera, c’est une vérité banale qui m’a pourtant surprise au passage, comme si je m’attendais justement à « rester moi » tout au long de ma vie. Je reste moi, évidemment, mais je change. Je ne retrouve pas tout à fait celle que j’étais, mais je découvre pourtant des nouveaux traits qui me plaisent, me déstabilisent, ou me réconfortent.
 
C’est une des (très nombreuses) leçons que m’a amenée la maternité : avoir appris que mon corps, mais aussi mon identité, sont toujours « en devenir », que je change et que je deviens toujours autre chose, quelque chose d’inattendu. Tout ça représente pour moi une grande source d’apaisement, et d’émerveillement.
 
P.-S. Merci à Les folies passagères pour « So sorry pour mes tits totons mous (ou pas) », déclencheur de toute cette réflexion.