Dans mes grands moments de colère, de bonheur ou de désespoir, j’ai jamais, jamais dit « Ehlala! » Genre, juste fucken jamais. Si vous m’avez déjà lue, vous savez que j’ai le « tabarnak » facile et que je conjugue le verbe « crisser » à l’impératif comme à l’indicatif quotidien.

J’aime faire des phrases à la syntaxe vertigineuse pour qu’un funambule amateur puisse y marcher. Entre le Centre Bell et la Place Ville-Marie. Avec, en dessous, le boulevard René-Lévesque rempli de crocodiles affamés. Et la ponctuer d’un juron senti. Point final.

Des beaux adjectifs bien propres et un gros « simonak » bien sale. C’est le combo parfait.
À l'accouchement, ma fille est sortie alors que je sacrais, on ne se refait pas.
Ou presque.

Crédit : Giphy

Tout ça pour dire que depuis quelques semaines, ma pie en or de 4 ans retient, répète et questionne tout ce que je dis, surtout mes mots compliqués et mes expressions inventées, celles que je dis sans même m’en rendre compte. Elle s’interroge sur le sens d’une expression inconnue (et biscornue) puis la fait dire à Rainbow Dash quand elle manque son jump en bas du lit.

Un soir, on était à table, tous occupés à ronger nos os de côtelettes de porc, quand la pie gracieuse tache sa robe à tutu d’un spot de graisse bien visqueux.

« Merde! », qu’elle laisse tomber.

Je m’étouffe avec ma viande rosée dans ma napkin IKEA aux couleurs de vie bien rangée. Je tousse, oui, mais j’essaie aussi de retenir un rire irresponsable qui voudrait bien sortir.

Puis, je relativise.

C’est pas si pire ; d’ailleurs, elle est pas certaine si c’est merde ou merle. Rendu là, sacrer avec des noms de mwéno... J’m’outrage déjà assez pour un paquet d’affaires, je décide de laisser passer en faisant attention de pas trop répéter ni de trop insister pour ne pas encourager les réactions.

Mais le lendemain après-midi, alors qu’on joue à Guess Who et que je suis encore un chauve à moustache, elle s’arrête net dans son travail d’investigation pour changer d’avenue de questionnement. « Maman, c’est quoi putain? »

Oh Merle!

Crédit : Julie Marchiori

 
Mes ovaires ont frisé. Ai-je vraiment dit ça devant ma fille? C’est pas dans mon registre d’expressions, mais j’ai pu insérer le mot quelque part sans m’en rendre compte. Ou ça peut très bien venir d'ailleurs, qui sait? J’ai comme saisi la portée du mot quand j’ai été prise pour l’expliquer. J’vais pas lui donner la définition littérale, évidemment, mais je peux pas non plus lui dire que c'est un mot vide qui veut rien dire, juste de la colère qui transcende une émotion...

Non, je lui ai expliqué le concept d’insulte. Que ça cause du chagrin. Que personne ne devrait prétendre que son prochain lui est inférieur. Que c’est un mot méchant. Que je m’excusais si elle m’avait entendu le dire. Qu’on le répéterait plus. Que je ferais attention pour lui donner le bon exemple. J'ai été ferme sans trop en faire, sa question semblait plus issue de la curiosité qu'autre chose, de toute façon.

J’ai donc procédé à un grand nettoyage de mon langage. J’ai scrubbé mes expressions préférées, détartré mon vocabulaire ordurier, sorti les poubelles de mon inconscient imagé.

Et j’en souffre. J’ai l’impression que ma boîte à outils langagière est vide. Que mon « Ehlala! » lâché alors que j’me tape l’orteil sur la base du lit n’est pas satisfaisant pour 2 cennes. Même si j’y mets toute mon intensité. J’m’en permets certains, des fois. J’m’aperçois que c’est plus facile que je croyais de se retenir.

J’m’écoute parler et je me trouve tellllllement PG13! Ça fitte avec mes mom jeans et mes sandales moches mais confo. J’en profite quand elle est pas là : Eve-Catherine et moi, on a croqué dans un « contre-câlisse » pendant que les oreilles des juniors étaient loin de nos verves envenimées.
 
Et cette semaine, alors que j’attendais à l’arrêt avec une dame, le bus nous a passées sous le nez. On s’est regardées, dépitées, et elle m’a dit « Ehlala ». J’ai hoché la tête.

Feel you, madame, c’est fuckin ehlala c'qui vient d'arriver.