Étant parents d’une enfant polyhandicapée, nous avons dû faire face à plusieurs deuils (voir parties 1 et 2). Nous étions toutefois loin de nous imaginer que nous devrions affronter l'ultime deuil quand notre fille aurait 2 ans et 7 mois.

Un matin d’hiver, alors qu'elle s'apprêtait à partir au répit et que j'étais toujours au lit, j'ai insisté pour que mon mari la pose près de moi quelques minutes. La nuit avait été difficile mais, puisque j’étais enceinte de plus de 38 semaines, je craignais d'accoucher et d'être séparée d'elle plus des deux jours prévus. Je l'ai alors serrée contre moi et je lui ai dit qu'elle ne perdrait jamais sa place dans notre famille et que je l'aimerais toujours à l'infini. 

Je lui faisais alors, sans le savoir, mes derniers adieux.

Le lendemain matin, mon mari m’a appelée du travail en pleurs. La dame du répit venait de retrouver notre fille en arrêt cardio-respiratoire dans son lit. J'ai crié, beaucoup crié. Lorsque nous sommes arrivés à l'hôpital, les médecins nous ont demandé si nous souhaitions que des manoeuvres de réanimation soient tentées. Nous avons dit oui, sans hésiter.

Son espérance de vie était estimée à 50-60 ans, mais nous savions qu’elle était plus fragile qu'un enfant typique. C’est pourquoi nous avions déjà réfléchi au niveau des soins à lui prodiguer si les choses tournaient mal. Puisqu'elle souffrait beaucoup et que son état pouvait se détériorer en cas de réanimation, nous avions convenu de ne pas la réanimer. Mais ça, c’était notre rationnel avant d’être confrontés à cette réalité. Ce matin-là, il n’y avait plus de rationnel. Tout ce que je voulais, c'était qu'elle reste avec nous.

Quand je l'ai vue arriver sur la civière, les jambes raidies, j’ai su que c’était fini. À ce moment, j'ai ressenti une énorme tristesse et un vide sans fond à l'intérieur de moi. C'était irréel. Je pensais aussi au bébé qui pouvait naître d'un jour à l'autre. Je ne pouvais manquer ni les funérailles de ma fille, et pour des raisons évidentes, ni mon accouchement. 

Heureusement, notre fils a attendu le lendemain des funérailles pour pointer le bout de son nez. Notre fille a donc eu de très belles funérailles, à la hauteur de la petite fille exceptionnelle qu'elle était.

Certains disent qu'elle a laissé sa place à son petit frère. Je sais qu’il s’agit de paroles de réconfort, mais ils avaient tous les deux leur place. Sans aucun doute. La vie avec une enfant polyhandicapée et un nouveau-né aurait certes été difficile, mais perdre notre fille l'était mille fois plus. Car non, le deuil d'un enfant handicapé n'est pas moins douloureux que celui d'un enfant dit « normal ». 

J'ai remué de nombreuses fois dans ma tête ce que nous aurions pu faire différemment pour éviter son décès. Il y avait aussi une grande peur d'oublier. D'oublier son odeur, son sourire, le son de ses babillages. Je me suis mise à noter tout ce que j'aimais d'elle, pour ne jamais oublier. 

Je me rappelle avoir très souvent pleuré sur la tête de mon bébé qui dormait, à un point où ses cheveux étaient complètement trempés (et des cheveux, il en avait!). Mon fils n’a pas remplacé notre fille, mais il était mon soleil dans la tempête. 

Béatrice est partie il y a un peu plus de 3 ans. Depuis, nous avons voyagé et un autre bébé s’est ajouté à notre famille. Mes deux fils sont en santé. Mon mari et moi sommes toujours unis. Je peux dire que nous sommes heureux, mais ma fille me manque chaque jour. 

Je crois que le deuil d’un enfant n'est jamais complété, mais qu’il évolue. De plus en plus, ce sont les beaux souvenirs et ce qu'elle nous a légué qui prédominent. Je me raccroche aussi à l’idée qu’elle ne souffre plus et qu’elle peut maintenant courir, parler et danser. Je suis tellement reconnaissante de l’avoir dans ma vie, malgré les épreuves.

Et si vous me demandez combien j’ai d’enfants, je répondrai trois. Sans hésiter.