Tout a commencé à cause de la tignasse indomptée de ma fille. Parce que brosser ses cheveux lui demande trop d’effort et de temps. Ça ne la dérange pas de sortir la chevelure au vent, s’entortillant toujours davantage sur les nœuds de la veille.

Ce matin-là, l’exaspération s’est emparée de moi et  j’ai empoigné la brosse pour lui rendre la tête présentable. Alors, elle s’est mise à crier et à pleurer. Devant cette désolante scène, mon agacement a fait place à la colère. J’ai perdu patience. Sur un ton plus froid que je ne l’aurais souhaité, je lui ai dit : « J’appelle la coiffeuse demain, c’est fini pour toi les cheveux longs. »

Et là, je venais de heurter ma préadolescente dans le symbole même de sa vision de la féminité : sa longue chevelure châtaine parsemée de mèches blondes. Elle s’est  tournée vers moi, les yeux agrandis par la fureur. Elle ne criait et ne pleurait plus, et je pense que finalement j’aurais préféré ça à ce qui est sorti de ses lèvres.

« Tu es la pire mère au monde! »

Un véritable cri du cœur, avec ses notes de colère et d’injustice. J’ai eu mal lorsqu’elle m’a dit cette simple phrase. Sept mots qui ont fendu mon cœur.

Ma petite fille, si douce... je ne la reconnais plus depuis un moment. Elle est parfois mesquine, colérique, un peu arrogante. Elle cherche à me faire du mal lorsqu’elle juge que mon autorité outrepasse sa liberté. Avec les autres cependant, son tempérament n’a pas changé. Sage comme une image.

J’ignore ce qu’est le terrible two et compagnie. Ma fille a été d’une humeur égale toute sa petite enfance. Elle demandait au lieu de hurler. Elle comprenait au lieu de bouder.  Elle était peut-être trop raisonnable pour son âge.  

Mais là, elle commence à jouer dans la cour des grands. La vie vient la heurter. Elle est anxieuse et elle a un stress de performance un peu trop gros pour ses petites épaules. Elle veut plaire. C’est, je crois, la raison de son caractère si conciliant. Décevoir est pour elle synonyme d’échec. Mais elle se rend compte que la perfection n’est pas de ce monde, et elle ne sait pas comment gérer tout ça.

Je ne lui ai pas fait couper les cheveux. J’ai eu honte d’avoir brandi cette menace sous son nez. Quelque temps plus tard, je lui ai demandé pourquoi elle trouve que je suis la pire mère au monde. Et là, à travers les larmes, elle m’a dit quelque chose qui est venu encore plus me remuer. Elle m’a répondu : « Je ne serai jamais aussi bonne que toi ».

Je n’ai pas su quoi lui dire, et j’ai l’impression que j’ai manqué quelque chose d’important.

Je ne veux pas de ce piédestal que je ne me mérite pas.  Si elle savait que sous ma détermination se cache une personne qui tremble, qui se remet en question. Constamment.  J’aurais dû lui dire que, peu importe ses erreurs et ses peurs, elle possède plein de belles choses : le courage, la gentillesse, la compassion.

J’aurais aimé lui dire qu’elle ne sera pas moi, ni meilleure ou pire, elle sera juste elle. Et c’est parfait comme cela.

J’aurais aimé trouver les bons mots pour la réconforter. Être moins exigeante, plus compréhensive. Ne pas être à ses yeux une source de stress. Mais, peu importe ce que j’aurais dû faire ou pas, ce que je ferai ou ne ferai pas, nous devrons traverser cette étape. Ma fille, qui ne s’était jusqu’à maintenant jamais opposée à moi ni à quiconque d’ailleurs, devra s’affirmer, se détacher, trouver sa propre place.
J’espère juste que, au plus fort des futures tempêtes, je me souviendrai de ma propre adolescence, pour la comprendre. J’espère juste que je saurais trouver les mots. Nous sommes toutes les deux novices là-dedans.

Un jour, quand elle sera à ma place, elle comprendra. Aujourd’hui, c’est à moi de la comprendre. De la laisser prendre son envol, sans heurts. De l’aider doucement à trouver sa place. Je ne veux juste pas être une ennemie.