Je suis assise au Else’s avec des amies et l’une d’elles est alertée par son téléphone qui vibre et lui annonce que Leonard Cohen est mort. Elle lit la notification morbide à voix haute et je reçois la nouvelle comme une claque en plein visage. Le majestueux Leonard, la voix rauque qui a bercé mon adolescence, le premier artiste de chez moi qui m’a tordu le cœur mille fois grâce à ses paroles plus fortes que des images, plus fortes que les émotions elles-mêmes, venait de rendre l’âme.
 
Et c’est la première fois de ma vie que j’ai compris que mon passé commençait à disparaître.
 
Car voyez-vous, Leonard et moi on se connaissait. Si peu. Je l’admets. J’ai eu le bonheur de lui servir son café durant cinq ans alors que je travaillais au Bagel etc. directement situé en face de chez lui sur le boulevard Saint-Laurent. Je l’ai croisé donc, à plusieurs reprises. J'ai eu l’immense honneur de lui servir son short espresso et son bagel cream cheese. Ai-je vraiment besoin de vous souligner qu’il était charmant, poli et merveilleusement attachant? J’imagine que non.
 
Après Leonard, il y eut le frère de mon amie. Ensuite, une artiste pluritalentueuse que j’admire… La mère d’une amie qui se bat contre le cancer… Mon autre ami atteint d’un cancer incurable, mais qui fait un gros fuck you à la maladie parce que comme il dit : I won’t go quietly… Et mon cher parrain il y a deux semaines.
 
Toutes ces personnes que j’aime. Tous mes ami.e.s qui traversent des périodes difficiles et qui continuent à vivre, à se pointer au boulot, même s’ils savent pertinemment qu’au bout de leur peine se cache un être proche qui utilise chaque minute de sa vie pour survivre au maudit cancer.
 
C’est ça vieillir?
 
C’est donc ça, commencer à enterrer ses héros, les gens qu’on a figé dans ses plus beaux souvenirs et qu’on caresse tranquillement quand leur rire remonte à la surface pendant qu’on s’émerveille devant un beau paysage? 
 
J’haïs la mort. J’haïs le cancer. J’haïs que la vie décide de commencer à me priver des gens que j’aime. 
 
Et malgré toute la puissance et l’énergie que je mettrais à vouloir combattre ce que je ressens et vouloir repousser à plus loin l’inévitable, je ne peux que continuer à avancer. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression que le passé s’effrite derrière moi. J’espère seulement qu’il disparaît pour pouvoir fleurir le chemin qui s’ouvre devant mes enfants et tous les enfants du monde.
 
C’est dans l’ordre des choses, même si ça fait mal en chien.