Je lui en ai voulu souvent d’être. Pas assez ou trop. Je n’avais alors aucun temps pour les autres, elle y compris, tellement centrée sur moi-même.

Fragile. Je savais aussi qu’elle craignait les souvenirs, l’impossibilité de trouver les mots.

Elle a vécu les drames qu’on murmure ou qu’on ne prononce pas. Une violence si grande et répétitive qu’elle s’est enfuie à la première occasion.

La famille a été son royaume. La religion, son rempart. Dans cette petite enclave, enfin protégée du mal, elle a mis fin au cycle de la violence.

Mais, comme toute guerrière, les blessures avaient laissé des marques. À certains moments, les douleurs du passé redevenaient vives. Comme si son corps se souvenait de ce que la mémoire voulait oublier.

Ce corps frêle qu’elle tentait d’oblitérer, de faire disparaître. Les émotions qu’elle saupoudrait pour diminuer la souffrance.

Comment une personne survit-elle à une vie de violences? Comment a-t-elle réussi à donner tout cet amour à ses enfants? Sans attente. Le bonheur comme espérance généalogique.

Peut-être n’aurai-je plus le temps d’obtenir ces réponses. Je réalise toutefois que ses choix de vie ont changé mon ADN. Elle nous a offert une parentalité bienveillante sans aucune boussole pour la guider.

Je lui en ai voulu souvent d’être. Mais plus maintenant.