N’écoutant pas la télévision, j’ai pris connaissance de l’existence de François Lambert lors de la célèbre saga des montres de luxe volées , qui s’est conclue avec une joyeuse réplique de Jean-François Nadeau. Ce sombre personnage a attiré mon attention à nouveau lors de sa sortie publique sur le coût d’un panier d’épicerie, arguant qu’il était tout à fait en mesure de nourrir une famille de quatre pour moins de 210$ par semaine. Le millionnaire prétextait qu’il suffisait de « savoir cuisiner » et confiait qu’il élevait ses propres poulets et achetait ses fruits et légumes chez un grossiste en se rendant à son chalet dans les Laurentides.
 
En fin de semaine, dans un statut Facebook, le dragon s’en est pris aux mères qui se « victimisaient » par rapport à la charge mentale. Rappelons-le, ce concept introduit par la sociologue Monique Haicault réfère à la charge cognitive du travail d’organisation familiale qui repose habituellement sur les épaules des femmes. Pour François Lambert, il ne s’agirait pas d’une « charge », mais d’une « responsabilité ». Bien sûr, devenir parent, peu importe notre genre, implique un lot de responsabilités. Toutefois, il ne suffit pas, comme il le propose en comparant le couple au partenariat en affaires, de « partager les responsabilités » et de pratiquer le « lâcher-prise ».
 
Démontrant sa grande ouverture d’esprit, François Lambert a préféré supprimer mon commentaire – et tous ceux de mères qui n’étaient pas d’accord avec lui – donc je me permets de lui répondre ici. Tout comme lorsqu’il est question de ce que coûte en moyenne un panier d’épicerie pour une famille, on ne peut pas se fier uniquement à notre situation personnelle pour généraliser à l’ensemble d’une société. C’est là l’erreur de bien des gens en position privilégiée : juger qu’il suffit, pour s’en sortir et réussir, d’une question de volonté, évacuant les facteurs structurels à l’oeuvre. 
 
Dans la très grande majorité des couples hétérosexuels, le partage des tâches « spontané » qui s’établit d’abord est souvent au désavantage des femmes, qui en accomplissent plus dès qu’il y a cohabitation entre conjoints. Et cette tendance ne fait que s’aggraver avec la présence d’enfants. En moyenne, c’est 10 heures de plus de travail ménager qu’elles effectuent par semaine. Et la situation, en couple hétérosexuel, où l’on se rapproche le plus d’un partage égalitaire des tâches (14,6 heures pour les femmes et 15,2 heures pour les hommes par semaine), c’est lorsque la femme est le seul soutien de famille, et que l’homme est au foyer! Dans toutes les autres situations, les femmes consacrent entre 18% et 144% plus d’heures aux tâches. Si, dans certains couples, on en arrive à un partage plus égalitaire, c’est souvent au prix de négociations difficiles, généralement initiées par les femmes, qui s’ajoutent à leur charge de travail émotionnel.
 
Rappelons que les femmes sont également plus nombreuses à occuper un emploi à temps partiel ou à quitter leur emploi, particulièrement lorsqu’elles doivent prendre soin d’enfants ou de membres de leur famille. Puisqu’elles gagnent des salaires généralement moins élevés que leur conjoint, ce sont plus souvent à elles que revient de mettre de côté leur carrière pour prendre en charge les responsabilités familiales. Ces décisions peuvent avoir des répercussions importantes, à plus long terme, sur leur sécurité financière et sur leurs possibilités d’avancement professionnel, contribuant à leur précarisation. Jusqu’à quel point s’agit-il de libres choix lorsqu’on connaît la pénurie de places en Centres de la petite enfance ou le manque de soutien pour les personnes vivant avec un handicap ou une maladie, et qui ont tout de même besoin qu’on prenne soin d’elles? 
 
Est-il besoin de rappeler que les « solutions » ne s’offrent pas à tous et toutes de la même façon? Contrairement à ce que pense François Lambert, il ne suffit pas de « vouloir » pour que, magiquement, on réussisse à nourrir une famille en travaillant au salaire minimum ou qu’on en arrive à un partage égalitaire des tâches avec notre conjoint. Il faut identifier, au niveau de la société, les mécanismes qui nous empêchent de vivre dignement et envisager des solutions qui pourront s’offrir à toutes et tous.