J’attends ce moment, je pense, depuis le début de ma vie, mais ce soir, j’ai tué mon père. J’ai tué le reste de l’amour que j’avais pour lui, le reste de la peine, le reste de tout ce qui m’attache à lui.
Oui, ce soir j’enterre mon père avant de m’enterrer moi. J’enterre mon père biologique, la personne qui m’a créé le plus de souffrance dans ma vie. Je le fais mourir avant qu’il meure. Bye comme on dit, bye.

Je me demande combien d’années tu dois attendre lentement ta mort en secret pour vouloir faire mourir ton père. Combien de fois tu dois te repasser les images violentes de lui qui te frappe pour aucune autre raison qu’être un enfant, avec un comportement d'enfant.

Parlant d’enfance, celle que je ne pense pas avoir eue, combien de fois dois-je m’imaginer tes attouchements, les revoir comme des flashs dans ma tête? Combien de fois dois-je refuser de faire tel ou tel acte sexuel, combien de fois ai-je refusé qu’un homme me touche pour reconnaître que tu m’as touchée pendant mon enfance? Combien de fois dois-je te tuer dans ma tête, espérer que tu meures pour reconnaître ce qui est arrivé? Pour l’admettre?

Combien de fois vais-je devoir imaginer ta mort? Sans qu’elle n’arrive. Jamais. Même si ta capacité à t’autodétruire m’épate un peu plus chaque jour. Tu n’as jamais réussi à accomplir quoi que ce soit de concret, parce que tu sais au fond de toi le mal que tu as fait. Et puis en vouloir aux autres est plus facile que te rappeler que tu as brisé ta propre famille. Tes propres enfants. Moi, au passage, avec tes mots et tes gestes qui ont cassé ma vie.

J’ai quand même pitié quand je pense à toi. Ton désir de réussir, de paraître, quand, au fond tu n’étais qu’un colon de plus. Ta volonté de gagner et écraser les autres sachant pertinemment que tu es une personne méchante. Le fait que tu ne liras jamais ces lignes parce que tu sais juste lire uniquement quand ça te tente, quand ça t’arrange. Car il ne faudrait surtout pas que tu te confrontes au fait que tu as brisé ta famille. Souviens-toi, tu te prenais pour Dieu.

Mais hey, j’espère pisser sur ta tombe. Pisser sur tes excès, sur tes violences, pisser sur ta tête. Pisser sur le fait que tu n’as voulu aucun de tes enfants au final parce que personne n’allait te satisfaire. Tu vas mourir tout seul, comme ton père et c’est la pire chose qui puisse t’arriver, je pense, parce que tu sais bien que tout le monde te méprise et n’attend que ça.

Juste ça, que tu ne fasses plus de mal à personne, que tu n’abuses plus de personne et que tu fermes enfin ta gueule.

Ce soir, dans ma tête, j’ai tué mon père et même sa mort réelle ne me fera plus rien. Parce que la biologie et tout le reste, je m’en balance, parce que la biologie qui fait mal, je me la fourre où je pense. Et surtout, parce qu’après tant d’années à encaisser, je peux me donner le droit de juste vire.

Ce soir, j’ai tué mon père et la journée où il mourra pour de vrai, je ferai comme si de rien n’était. Parce que ça ne me fera rien.