Je faisais mon rattrapage de Format familial et j’ai eu le motton, comme ça m’arrive si souvent.
Dans ma télé, une famille de la Côte-d’Ivoire. Des parents courageux, qui avaient traversé un océan et bien des embûches pour donner un avenir meilleur à leurs 6 enfants. Déjà, avoir 6 enfants, respect. Organiser un déménagement avec 6 enfants, respect fois mille. Dans un autre pays, sur un autre continent, en plein mois de février. Wow.

Le père pensait qu’il pourrait travailler en comptabilité comme dans son pays d’origine. Ô surprise, ses diplômes n’ont pas été reconnus. Il s’est inscrit dans un DEP en comptabilité, mais n’a toujours pas réussi à trouver d’emploi dans ce domaine. Les parents ont trouvé de petits boulots dans des entrepôts. Les deux parents ne s’en plaignaient pas. La mère a dit : « On ne se décourage pas, même si nous on doit travailler dans les entrepôts, on va miser sur nos enfants, les aider à travailler dur afin de devenir quelqu’un, fait que on se décourage pas. »

C’est là que j’ai eu le motton. J’ai pensé à mes propres enfants. À tout ce que je serais prête à faire pour eux. Changer de pays, empiler des boîtes dans un entrepôt du matin au soir, donner un rein, perdre un bras, me pitcher devant un camion.

J’ai pensé à mes élèves. J’enseigne en classe d’accueil depuis dix ans à des ados qui ont été déracinés et qui portent sur leurs épaules le poids de tous les rêves de leurs parents. En plus du poids déjà pas toujours facile à porter de l’adolescence et de ses tourments, de ses premières fois aussi terrifiantes qu’enivrantes.

J’ai pensé à ces dizaines de parents que j’ai rencontrés au fil des ans, au fil des rencontres de parents. J’ai pensé à leurs regards inquiets, à leurs sourires fiers, à leur français rempli d’hésitations colorées, à leurs silences éloquents.

En voyant les parents dans ma télé, j’ai saisi un peu mieux l’ampleur de ce qu’ont vécu ces dizaines de parents que j’ai croisés sur ma route. J’ai compris un peu mieux cette détermination, cette certitude au creux de leur ventre, cet amour qui prend toute la place. Certains ont quitté une vie confortable pour s’éreinter dans un travail pour lequel ils sont surqualifiés, simplement pour arriver à payer le loyer du logement beaucoup trop petit dans lequel ils vivent. D’autres ont fui la guerre à pied, portant leur nourrisson dans leurs bras. Ils ne pensaient pas à eux. Ils pensaient à leurs enfants. Ils s’oublient aujourd’hui pour leur offrir un demain meilleur. C’est si beau, si grand, que j’en ai la gorge toute serrée.

Chaque matin, quand je vais travailler, je prends soin de ce qu’ils ont de plus précieux. C’est une tâche dont je m’acquitte avec beaucoup de bonheur, avec beaucoup d’humilité.

Ils ont tout sacrifié pour leurs enfants.