Hier, au retour du travail, je sentais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Ma fille, cette émettrice d’émotions à grande échelle, ne semblait pas son assiette. Je percevais sa tristesse et sa déception, mais je n’arrivais pas à en comprendre la cause.
 
À ma demande sur comment s’était déroulée sa journée, elle n’avait que des réponses évasives. Elle ne voulait pas que je sache, mais elle avait oublié que je peux lire en elle comme dans un livre ouvert. Et si elle tournait autour du pot, c’est que j’étais en cause, mais qu’elle ne voulait pas me blesser (elle est comme ça, ma fille)… Qu’est-ce que j’avais fait?
 
Plus tard dans la soirée, j’ai finalement su. Chaque décembre depuis qu’elle fréquente l’école, ma fille remet à cette période-ci de l’année un de ses jouets qu’elle emballe avec soin. Puis, toute la classe prend une marche pour aller remettre leurs présents à un organisme régional qui aide les familles dans le besoin.
 
Il y a eu un mémo à l’agenda, il y a eu un courriel. Mais j’ai complètement oublié. Résultat, hier chaque enfant transportait avec joie et fierté sa petite contribution pour qu’un jeune moins chanceux reçoive du doux pour Noël. Chaque enfant de la classe, sauf ma fille. C’était la seule, qui a dû quêter un cadeau à l’enseignante pour ne pas se présenter les mains vides.
 
Elle ne m’a fait aucun reproche. Elle a choisi des mots pour ne pas me blesser. Au fond, elle ne m’en voulait pas d’avoir oublié. Elle s’est peut-être dit qu’à 11 ans, elle avait à y voir elle aussi. Mais je devine sa tristesse de ne pas avoir donné un cadeau. Sa déception d’être la seule sans présent, comme si elle ne pensait pas aux plus démunis en cette période sensible de l’année. C’est ça que j’ai trouvé le plus blessant. De savoir ma petite fille triste alors qu’elle aurait dû rayonner de joie.
 


Crédit : Nathan Dumlao/Unsplash

 
Et là, je me suis sentie POCHE. Une maudite mère poche. Une mère qui ne prend pas à cœur le quotidien de son enfant. Je percevais chacune des ondes de tristesse de ma fille-émettrice et elles déferlaient sur moi, amplifiées par cette culpabilité qui nous vient en cadeau avec la parentalité. Parce qu’avant d’être maman, jamais je n’avais ressenti autant de culpabilité pour quoi que ce soit.
 
Il y a des moments où, malgré l’impression d’avoir fait tout ce que je pouvais, le sentiment d’avoir manqué quelque chose m’envahit. Est-ce que j’ai oublié de lui mettre une collation? Est-ce qu’elle est habillée assez chaudement? Est-ce que je n’aurais pas dû lui expliquer les choses d’une autre manière? Est-ce que j’aurais dû parler, me taire? Est-ce que j’aurais dû prendre plus de temps avec elle?
 
On dirait que peu importe à quel point je peux être fière du parent que je suis, il y aura une fatale fois qui viendra me griffer le cœur. Me dire que finalement, je suis aussi capable d’être une mauvaise mère. Une mère à la course qui oublie l’essentiel. Une mère à bout de souffle qui s’endort sur le divan. Une mère en furie qui crie au lieu d’écouter. Une mère égoïste qui mange le dernier morceau de gâteau. Il y a tant d’occasions de se sentir coupable.
 
Hier soir, après une rude journée, une rude semaine, une rude année, j’ai pleuré. Parce que cette culpabilité venait empoisonner tout le reste. Je n’arrivais pas à passer à autre chose. Peut-être est-ce dû à ma vie en montagnes russes depuis cet automne, à la fatigue qu’on ressent souvent en fin d’année. Peut-être que c’est juste hormonal. Mais le fait est que je n’arrivais plus à me consoler, je faisais une montagne avec cet oubli.
 
Ce matin, ma fille était toute souriante, elle m’a même dit qu’on pourrait aller ensemble cette fin de semaine porter un autre cadeau à l’organisme si j’en avais envie. Sa façon à elle de me faire comprendre que je n’avais pas provoqué la catastrophe, que tout était réparable.
 
Elle ne m’en veut pas, ou évidemment beaucoup moins que je m’en voulais moi-même. Ma fille est une perle. Et voilà que je culpabilise parce que j’estime ne pas la mériter. Quand est-ce que ça fini, ce sentiment plate-là?