C’est arrivé encore.

Il n’y a pas si longtemps, c’était moi. Moi, dans la salle de l’hôpital, le ventre recouvert de gel, le cœur en mille miettes, qui regardais à l’écran le bébé dont le cerveau ne s’était pas formé — mon bébé. C’était moi qui prenais cette décision inévitable, celle de mettre fin à la vie de ce petit être qui, de toute façon, ne survivrait pas.

Cette fois, c’est elle. Encore une fois, cette image sans appel. Un cerveau qui ne s’est pas formé. Cette annonce juste à la fin de la période la plus risquée, alors que son ventre commençait à s’arrondir et les coups de pied à se faire sentir, et qu’elle reprenait son souffle en se disant que, cette fois, ça y était. Encore une fois, ce choix qui n’en est pas vraiment un.

Un autre triste accouchement, d’autres bras portant l’ébauche d’un petit être tant désiré pourtant, tant aimé déjà. Un autre petit ange dans le ciel. D’autres rêves en éclats, d’autres espoirs envolés, d’autres plaies à panser. D’autres pas à faire vers l’avant, à l’aveuglette, vers la suite de cette quête pour avoir des enfants, qui semblait si facile au départ. Et encore l’éternelle question, celle qui tourmente toute la journée, celle qui chasse le sommeil la nuit et qui défile en boucle dans le noir, en lettres majuscules au plafond : pourquoi? 

Et puis, surtout, la peur. La peur de réessayer, parce que l’histoire pourrait se répéter, chaque tentative pourrait se solder par le même naufrage. La peur des réponses, parce qu’elles pourraient avoir pour seul effet de soulever davantage de questions ou de fermer des portes. La peur du temps qui passe et qui nous force à tout repenser — parce que notre famille n’aura peut-être pas le visage qu’on imaginait, pour finir.

Crédit : oldskool photography / Unsplash

Moi aussi, je me demande pourquoi : pourquoi ça continue à arriver? À l’époque, j’étais la seule de mon entourage à avoir vécu ça : ce diagnostic-là, à ce moment-là. Comment ça peut arriver encore, dans la même famille de surcroît?

J’ai serré mes enfants dans mes bras. Fort. Parce que je me souviens trop bien qu’il n’y a pas si longtemps, c’était moi, et qu’alors la possibilité qu’ils n’existent jamais était bien réelle. Puis je leur ai expliqué qu’ils n’auraient pas de cousin ou de cousine, pas encore. Que la vie est pleine de petites erreurs et injustices comme celle-là.

Et c’est vrai. Même si on s’acharne, une raison, il n’y en a pas. C’est juste comme ça. Ça ne sert à rien de chercher plus loin.

Mais ce n’est qu’une très mince consolation. La vie est injuste, et je ne m’y ferai jamais.

Bon voyage, petit ange.