Le formulaire d’inscription est là, sur mon bureau. Il ne s’agit que de prendre un crayon, de remplir les cases, nom, prénom, lieu de naissance, Parent A, Parent B, etc., rien de bien sorcier. Mettre ça dans une enveloppe, avec la copie d’acte de naissance et les preuves d’adresse, marcher deux coins de rue, et déposer l’enveloppe là-bas, à l’école. À l’école. La petite école, mais l’école quand même. L’école.
 
Ça fait deux semaines qu’il traîne là, ce formulaire d’inscription, sur mon bureau. Et chaque jour je me dis : il ne reste plus que 15 (10, 7…) jours pour faire l’inscription, il ne faudrait pas tarder. Mais je ne sais pas, je ne le fais pas. Je laisse dormir le formulaire là, et avec lui, toutes mes angoisses et appréhensions liées à cette première rentrée scolaire qui approche beaucoup trop vite. Ma petite fille, à l’école. Je ne veux peux pas y croire, ça me donne presque le vertige.
 
Je suis surprise d’être autant bouleversée, je l’avoue. Je pensais que cette étape allait me sembler simple, naturelle, excitante, que j’allais me sentir prête. Après tout, j’ai beaucoup aimé l’école, je l’ai tant aimée que j’y suis encore, à 35 ans! Je jugeais même les parents autour de moi qui ont vécu ce passage avec anxiété et en faisaient tout un plat : qu’y avait-il de si stressant, de si confrontant, à l’entrée à l’école? N’était-ce pas le cours normal des choses, un pas de plus vers l’autonomie de l’enfant? Ben voilà, encore une fois, je me rends compte que je suis bel et bien comme tout le monde : l’entrée à l’école me stresse comme c’est pas possible.

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Je suis assaillie de doutes et d’hésitations, et habitée d’un désir presque viscéral de protéger mon enfant. Mais protéger mon enfant de quoi? Je ne sais pas trop. La protéger des « méchants », je suppose? Méchants profs, méchantes directions d’écoles? Ben non – je sais bien que ces professionnel.le.s se donnent corps et âme pour offrir aux enfants un environnement et une éducation stimulante, pour les doter d’une belle curiosité, d’un désir du vivre-ensemble, et d’une certaine compréhension du monde dans lequel ils et elles vivent… Méchants enfants, alors? Certes, l’intimidation existe, et mon enfant fera sûrement face à des défis relationnels… comme tout le monde. Ça fait partie de l’apprentissage à la vie en société, et au fond, je me réjouis que ma fille vive ça, qu’elle ait l’occasion de développer son intelligence affective, et que j’aie la chance de l’accompagner là-dedans. 
 
Non, je pense qu’en fait, j’ai un peu peur de l’école en tant qu’institution qui vise non seulement l’enseignement de connaissances et aptitudes, mais aussi l’apprentissage d’un « sens de la norme », l’intégration de comportements jugés « corrects », et la diffusion de manières de vivre qui sont conformes aux attentes sociales. J'ai peur de l’école en tant qu’institution disciplinaire, celle qui crée de « bons petits élèves disciplinés et dociles », celle qui félicite les gagnant.e.s, et marginalise les perdant.e.s. L’école en tant que mini-société, finalement, qui reproduit les dynamiques inégalitaires de la société globale, et qui, malgré toute la bonne volonté de son personnel enseignant et administratif, peine souvent à répondre aux besoins des enfants « différent.e.s ». Oh que je rêve d’une école publique accessible à tou.te.s, où l’on pourrait respecter le rythme de chacun, explorer différentes formes d’apprentissage, et où tou.te.s pourraient trouver leur propre manière de s’épanouir… Mais serait-ce encore une école ? Eh puis je l'avoue : je surfe aussi sur mes peurs et mes préjugés de mère qui ne connaît en fait rien du tout de ce qu’est l’école en 2019... 
 
Tout ça me fait me rendre compte finalement que j’ai peur de la rencontre de mon enfant avec « la société ». J’aimerais tant pouvoir la protéger encore un peu « du monde » (ben oui, comme si elle n’y était pas déjà plongée!), protéger son imagination d’enfant, protéger son sens de l’émerveillement, son désir de réaliser des grandes choses, son envie de parler à tout le monde qu’elle croise… Lubie de parent millenial, je suppose, ou bien envie d'une mère-hélico qui s'assume pas? Je dois nous faire confiance. Je dois lui faire confiance, à elle, ma petite grande fille. Elle est si vive, son intelligence me surprend à chaque détour. 
 
Bon, c’est quoi, donc, la date limite pour l’inscription? 
 

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