Nos premiers moments à trois auront été magiques. L’accouchement, d’abord, où j’avais l’impression que nous travaillions déjà tous ensemble pour que notre rencontre se fasse dans la joie et la douceur : lui, à me masser, à me parler, à me supporter; moi à m’abandonner dans l’effort; et elle, notre enfant, à traverser ce passage à son rythme. Les premiers jours se sont poursuivis dans cette douce euphorie amoureuse, à rester encabanés dans notre nid, à n’accepter que quelques visites... Nous voulions rester dans notre bulle. Et les semaines suivantes ont été tout aussi merveilleuses, nous nous ouvrions au monde à trois, prenions des marches en riant, regardions des séries collés-collés pendant les allaitements nocturnes, nous nous découvrions ensemble et ça goûtait bon. Pendant tout le congé de paternité de mon chum, nous étions si amoureux, je me souviens, que nous faisions l'amour tout le temps, en prenant le temps de redécouvrir mon corps transformé par la maternité... 
 
Mais ce congé ne dura que 6 semaines, et après, pouf! C’est comme si mon chum avait disparu. C’était surtout la faute du travail : sa job avait toujours été prenante, mais il commençait à ce moment un nouveau cycle de rush. Il était souvent plusieurs jours à l’extérieur de la ville, avait des réunions qui duraient tard le soir. J’étais seule toute la journée avec notre petite, et aussi toute la soirée. Je m’occupais, bien sûr, j’avais toujours une foule d’activités prévues : yoga maman-bébé, cours de natation, cercle de discussion de l’organisme famille du coin de la rue, cafés avec des amies… Mais je sais pas, j’aurais eu envie qu’il soit là. J’aurais eu envie de discuter avec lui. Lui parler des sourires de plus en plus fréquents de notre petite, de la face qu’elle faisait quand elle mangeait ses premières céréales, de combien laver des couches lavables me prenait tout mon temps, de combien j’étais fatiguée…  Mais à part les quelques photos envoyées et textos échangés, nous avions si peu de temps ensemble. 
 
Tout le temps qu’il avait de libre, il voulait que notre enfant soit là, parce qu’elle lui manquait tant. Lui-même souffrait de la situation, et je le comprenais, évidemment. J’en profitais aussi pour sortir, prendre des pauses…
 
Notre fille a maintenant 18 mois et rien n’a vraiment changé. Il est toujours aussi occupé, c’est même allé en s’intensifiant. Ce n’est pas de sa faute, et ça, je le comprends bien : sa job exige ce niveau de présence, et il s’y dédie entièrement. Nous avons eu un merveilleux deux semaines de vacances en famille l’été dernier, où j’ai eu l’impression qu’on se retrouvait enfin – les fous rires, la connivence, le sexe, les rêves éveillés… Mais dès que le travail rembarque, je le perds. J’ai au fond du ventre un genre de colère qui gronde, une colère que je comprends mal, qui ne s’exprime que par des petites pointes tirées ici et là, qui est liée au fait qu’évidemment, avec tout ça, c’est moi qui fais tout, qui porte toute la charge de notre enfant. Mais cette colère est aussi empreinte d’une profonde tristesse. M’a-t-il oubliée? 
 
Où es-tu, mon amour? L’autre jour quand nous discutions, je t’ai dit que je n’aurais jamais pensé, quand nous avions le projet de faire un enfant ensemble, que je serais seule à le mener. Je me rends compte que s’il nous arrive quelque chose, à moi ou à la petite, je ne peux pas même pas compter sur toi, tu es toujours pris. Je ne sais pas comment te faire comprendre que j’ai besoin de toi. J’ai besoin de « nous », et je ne sais pas comment te retrouver.