Lorsque j’ai vu le petit plus sur le test de grossesse, j’ai pleuré dans ma salle de bain. Puis, je suis allée annoncer la nouvelle à mon copain. Il m’attendait, tentant de contrôler sa nervosité. Quand il a vu mon visage, il m’a serrée dans ses bras. Sans un mot, il savait.
 
J’aimerais vous dire que c’était la joie qui dominait cet instant. J’aimerais dire à mon enfant, une décennie plus tard, que l’annonce de sa venue était empreinte d’allégresse. Je n’ai jamais osé l’avouer, mais l’émotion qui ravageait nos cœurs était la peur. Ce sujet tabou n’a été que rarement abordé entre nous deux, mais je connais suffisamment mon copain pour savoir qu’il était aussi terrorisé que je l’étais.
 
D’abord, nous étions jeunes. Ensuite, nous étions pauvres. Nous habitions dans un petit logement coquet, mais vieillot, peu pratique pour élever un enfant. Tout ce que nous possédions avait appartenu à une connaissance quelconque. Je débutais depuis quelques mois à peine mon emploi et je venais de prendre mon arrangement de remboursement pour mon prêt étudiant.
 
Un bébé ne figurait nullement dans notre planification à court terme. Par contre, l’idée de renoncer à cette aventure ne nous a pas effleuré l’esprit.  Il y avait dans notre équation de vie une variable surprise et on s’est dit qu’à deux, on trouverait la solution.
 
J’étais terrifiée par l’accouchement, persuadée que j’allais me ridiculiser devant tant de souffrance. J’avais peur de ne pas savoir aimer mon enfant correctement. J’avais peur qu’il ne m’aime pas. Peur de ne pas savoir m’en occuper, de le négliger. Souvent, je rêvais que je l’échappais ou que je le perdais. J’étais convaincue que je serais une mère pitoyable.
 
Peu à peu, l’idée de la maternité a fait son chemin et mes angoisses se sont transformées en espoir. Je me voyais promener mon enfant dans sa poussette sous le radieux soleil d’automne. Je lui prêtais mille et un visages, tentant d’imaginer à qui il ressemblerait le plus. Curieusement, j’ai pris plaisir à voir mon ventre rondir. Une fois la surprise passée, j’ai apprécié sentir le bébé bouger en moi.
 
Une fin de grossesse difficile a enrayé toute crainte de l’accouchement, jusqu’au moment décisif. J’ai l’impression que mon copain a rangé ses appréhensions dans un coin de son cerveau pour les analyser neuf mois plus tard. C’est comme si je lui annonçais à nouveau qu’il allait être père en lui disant que mes contractions étaient rendues aux deux minutes. Sa nervosité, contagieuse est venue me happer de plein fouet. Si je n’avais pas tant d’orgueil, j’aurais pleuré en boule dans mon coin en hurlant de me laisser tranquille. Je me suis sentie seule et vulnérable.
 
J’ai eu peur quand on m’a annoncé qu’était venu le moment de pousser. Quand on m’a dit après deux heures de poussées infructueuses que le bébé commençait à démontrer des signes de détresse. J’ai alors redoublé d’ardeur malgré mon épuisement tant je craignais que mon bébé ne survive pas une minute de plus. Quand on l’a mis sur moi et qu’il gémissait plus qu’il ne pleurait, j’ai eu peur qu’il me quitte. Puis, à quelques secondes de vie, recroquevillé sur ma poitrine, ses yeux ont trouvé les miens. L’émotion était si intense qu’encore aujourd’hui, je n’arrive pas à trouver des mots justes et forts pour lui rendre justice.
 
Je réalise bien plus tard que la peur a été le sentiment fort de ma grossesse. Peur de l’inconnu, de ne pas être à la hauteur, du rejet. À travers les yeux de mon enfant, lors de cette première rencontre, j’ai senti naître en moi le courage et l’espoir. Je suis devenue une tout autre personne.
 
J’ai peur encore bien souvent. Peur qu’il lui arrive du mal. Peur qu’il manque l’autobus ou qu’il ait faim à l’école. Peur qu’il ait froid, qu’il soit triste ou angoissé. Je veux de tout cœur qu’il soit accepté, heureux, épanoui. Mais par amour pour lui, je serai capable de franchir des montagnes s’il le faut.
 
La parentalité m’a apporté un courage insoupçonné.