J’essaie de trouver des mots pour décrire l’état de fatigue dans lequel je me retrouvai l’année suivant la naissance de mon premier enfant. Une montagne de fatigue. Un immense monticule, une accumulation vertigineuse de fatigue. Une lourdeur étouffante, juchée sur mes épaules, m’écrasant. Ou bien peut-être était-ce plutôt une fatigue microscopique, qui avait su coloniser chacune de mes cellules, plus : chaque parcelle de mon être? 
 
Une fatigue comme une grande lassitude, un soupir contenu, un tremblement intérieur. Je vais le dire : une fatigue comme une dépression.
 
Avant ça, dans ma vie sans enfant, j’avais connu toutes sortes de fatigues. La fatigue de la fête, la fatigue de la fin de session, la fatigue du travail… J’avais goûté à la fatigue du sport, à celle de l’effort, à la fatigue du souci des autres… Mais rien n’arrivait à la cheville de cette nouvelle fatigue que je vivais pour la première fois.
 
C’était comme si je n’avais plus de souffle de vie, comme si je m’étais asséchée à force de tout donner. L’étymologie d’épuiser, c’est « une source qui se tarit, à laquelle on ne peut plus puiser ». On ne pouvait plus rien puiser de moi. 
 
Je me suis repliée sur l’essentiel (m’occuper de mon bébé). Je me suis isolée. J’étais vidée.
 

Crédit : Yuris Alhumaydi/Unsplash

Ça m’apparaît intense d’en parler comme ça aujourd’hui, puisque ça fait déjà un bout que j’ai retrouvé mon énergie. Je me réveille le matin et je sens que j’ai tout l’élan nécessaire pour mener à bien mes petits projets : pour aller au boulot, pour rédiger ma thèse, pour amener les petits au parc, pour runner la routine du dodo. Mais je me souviens encore des premières fois où je me retrouvai toute seule pour faire tout ça. Ma fatigue prenait alors la forme d’un pincement infime et continu au creux de ma poitrine. Allais-je y arriver? Je me couchais tôt, mais ce n’était pas tellement une question de sommeil. J’étais moralement épuisée, j’avais l’impression de chercher mon souffle, tellement je sentais qu’aucun espace ne m’appartenait plus. 
 
C’était peut-être ça, qui m’épuisait, finalement. Le fait que toutes mes pensées étaient tournées vers mon enfant et ma maternité (allô, anxiété), que tout mon temps était attribué à ma vie de famille. Le fait que je ne trouvais plus d’espace à moi pour me retrouver, me sentir, déborder, me rapiécer. 
 
En tant que nouveau parent, on sait que l’on devrait prendre du temps pour soi, et on se fait d’ailleurs rebattre les oreilles avec des conseils du genre : « Ne vous oubliez pas! Assurez-vous d’avoir du temps pour vous! ». Ça paraît si simple, mais pour moi ce ne l’était pas. J’étais incapable de me faire de l’espace, ça m’était presque inconcevable. Ça a été long un apprentissage de pouvoir m’accorder du temps de solitude, du temps de self-care et de réparation, du temps où être et me retrouver telle que je me sens. Mais ce sont ces petits espaces qui m’ont permis de retrouver ma joie. 

Crédit : Christopher Sardegna/Unsplash

 
Je réalise a posteriori que ma fatigue post-partum a longtemps teinté mon rapport à la maternité. Comme si elle avait marqué au fer rouge ma vision de la vie de famille, réussissant à me faire croire qu’être en famille, c’était fatigant. Réussissant à organiser tout mon quotidien (un seul objectif : me ménager). En fait, j’ai cru longtemps que c’était « ça », la maternité : être fatiguée.
 
Je me trompais. J’avais besoin d’aide. J’avais besoin d’accueillir ma vulnérabilité. J’avais besoin de me créer des espaces où me retrouver. 
 
C’est normal d’être fatiguée à l’arrivée d’un enfant, mais si vous vous sentez surmenée, éteinte, vidée, si vous avez l’impression de manquer de souffle, d’avoir du mal à garder la tête hors de l’eau, vous pouvez demander de l’aide. Ça fait du bien parce qu’éventuellement, on finit par retrouver sa joie et je vous dis pas le bonheur que c’est de la partager avec ses enfants.