Voilà, après deux ans, deux mois et 12 jours, c’est fini. 801 jours de loyaux services. Sans le savoir vraiment, j’ai allaité Bébé Poussin pour la dernière fois. Ça faisait un petit moment déjà que Sein gauche avait pris sa retraite, il ne restait que Sein droit, celui qui était le plus confortable pour le dodo. Parce que ce petit moment-là à nous deux toutes seules, je crois qu’elle le chérissait autant que moi. Sincèrement il ne devait pas rester grand-chose, quelques gouttes de lait de maman et beaucoup de réconfort. Elle buvait ensuite à grandes lapées son gobelet de lait. Mais on savourait ce moment collée collée dans la pénombre.

La fin était dans l’air depuis un moment. Il y avait des « hein, mais t’allaites encore? », des « ben là, ça va arrêter bientôt là c’t’affaire là! » Je ne voulais pas nécessairement le décider et le planifier. Je me disais que ça arriverait tout simplement. Je commençais à en douter je l’avoue. Puis un soir, elle s’est endormie sans demander le lait de maman, puis le lendemain je n’étais pas là, puis le surlendemain, elle s’est endormie dans l’auto en revenant d’une sortie, et mine de rien, ça faisait déjà trois jours. Je n’ai pas fait de publicité les jours suivants, et ç’a été la fin. Elle en a redemandé une fois ou deux et je lui ai répondu qu’elle était grande maintenant et qu’il n’y avait plus de lait de maman. Elle s’est satisfaite de cette réponse. Et sans douleur et sans larmes, ç’a été la fin.

Pour moi, allaiter avait été d’une évidence même. Déjà, ayant une poitrine forte de nature, je parle souvent de mon « patrimoine laitier ». Après mon accouchement marqué par la violence obstétricale, moment où je me suis sentie dépossédé de mes super-pouvoirs-de-maman, l’allaitement a été mon rempart. On m’avait enlevé le droit d’accoucher comme je le voulais, en respect des rythmes de mon corps, on ne m’enlèverait pas ce « skill » fantastique qu’est celui de pouvoir nourrir mon enfant. Quand est advenu la fameuse montée de lait, c’est avec fierté que j’allais porter dans le frigo de l’hôpital des pots et des pots remplis de précieux nectar comme pour montrer que j’étais cette super-héroïne-pleine-de-pouvoir que j’avais prétendu être en entrant là-bas.

J’ai continué rendue à la maison. Et j’ai été hyper chanceuse dans cette partie-là de l’aventure j’en suis consciente : aucune douleur, aucune gerçure, une production au rendez-vous et un bébé qui buvait goulûment. Je l’ai allaitée partout : chez des concessionnaires auto, dans un square au milieu du trafic new-yorkais, dans des cafés, dans le bain, dans l’avion, devant des amis de la famille, toute seule dans mon salon. Ça a fait partie de ma vie quotidienne, de ma normalité pendant deux ans. 

Maintenant que c’est fini, je regarde cette partie de ma maternité non pas sans une petite nostalgie pour mon mini bébé que j’ai fait devenir grand, mais surtout avec le sentiment du devoir accompli et l’impression de lui avoir donné autant d’amour que de lait pendant ces deux années. Ça me manquera de la prendre dans mes bras et de la sentir s’apaiser, s’endormir au sein, mais je suis certaine que nous trouverons de nouvelles façons d’être ensemble, dans notre petite bulle d’intimité mère/fille.