Je vais vous faire une confidence d'ethnie. En vrai, il ne nous arrive pas que des trucs d'Arabes ou que des trucs de Noirs. Il nous arrive autre chose qu'être dans des gangs de rue ou mettre un hijab ou être séquestrée par son mari ou danser la salsa vraiment bien ou faire du terrorisme.

En vrai, on s'énerve des fois dans le traffic, on tombe amoureux, on est célibataires, on a des problèmes de couple. On rompt. On est banlieusard, on est hipster, on est étudiant. On a des problèmes de santé mentale, on a des diplômes universitaires. On est prof, on est chauffeur de bus, on est statisticien, serveur, comptable, auteur. On perd des gens proches de nous, ça nous fait du chagrin.

En vrai, on réagit avec une banalité déconcertante à ces expériences-là. Des fois, on est heureux, pas forcément parce qu'il y a une fête dans notre tribu africaine et, des fois, on est malheureux, pas forcément parce que notre père bat notre mère.

Ça peut nous arriver aussi d'être séquestrée par un mari ou d'être dans une gang de rue, comme ça peut arriver à quelqu'un dit « de souche ». Ces drames de la vie ne nous sont pas réservés, suffit de suivre les nouvelles un peu pour voir que ça arrive aux humains en général. 

Des fois, on fait des trucs comme être vraiment proches de nos familles et voir nos parents trois fois par semaine même quand on n'habite plus chez eux, mais c'est plus un truc de culture que d'ethnie, parlez-en aux Italiens. En vrai, on n'a souvent pas d'accent. Si quelqu'un m'imite avec un gros accent du Maghreb, je vais être plus amusée qu'offusquée, mais je vais le trouver médiocre comédien, un peu comme si quelqu'un imitait la bâtonnière du Québec avec un gros accent vaguement asiatique.

En vrai, on a des enfants aussi. Ils ont parfois de difficiles premières journées de garderie, ils apprennent à faire du vélo ou du patin, ils se font leurs premiers amis. Ils sont indépendants ou hyper affectueux, ils ont trop de jouets, ça fait vraiment mal aux pieds quand on marche dans le salon. En vrai, en tant que parent, on sacre aussi quand on marche sur un LEGO. Ils ne font pas toujours leurs nuits. Ils ont peur du bruit du Vitamix. Ils capotent sur les animaux ou Toupie ou Binou. Ils font d'autres trucs que tomber dans l'enfer de la drogue ou se radicaliser.

Je dis ça parce qu'il y a cette idée qui circule que, dans une production artistique, pour engager un Noir ou un Arabe, ça prend un rôle de Noir ou d'Arabe. Peu de choses me semblent plus fondamentalement racistes que cette idée. En vrai, dans ton scénario, si tu ne peux pas facilement remplacer une de tes Jeanne par une Lin ou un de tes Jean par un Ahmed, ton scénario est vraiment bizarrement écrit. On devrait engager des acteurs de la diversité plus souvent que quand on veut éviter le blackface. C'est peut-être un combat symbolique, mais il faudra en parler à mes amis comédiens qui jouent régulièrement des gangsters, ils trouvent ça très pragmatique, comme combat, eux.

Je vais vous faire une autre confidence, je n'ai pas particulièrement hâte au jour où mon enfant va me demander pourquoi les gens qui lui ressemblent à la télé séquestrent leur soeur, mais j'ai encore moins hâte au jour où ses amis vont se demander s'il séquestre sa soeur. Parce que la télévision diversifiée combat le racisme. Et que la télévision uniforme le reproduit. Et because we're in 2016, comme dirait l'autre.

Avez-vous l'impression qu'on vous stéréotype dans les médias?