Lorsque je parle de paternité, l’un des commentaires que je reçois le plus souvent est qu’intuitivement, vraiment, promis juré, biologiquement, il existe des différences entre un père et une mère. Il ne faudrait pas en faire tout un plat, nous serions complémentaires dans nos différences. Mais est-il possible de mettre en doute la nature de ces différences, ou est-ce que les différences dont on parle ici sont plutôt les rôles traditionnels que nous connaissons, ceux qui ont bercé notre enfance et qui nourrissent aujourd’hui notre nostalgie lorsque nous nous racontons des histoires de famille?

Il semblerait que de s’affirmer comme père doive se faire systématiquement dans un rapport d'opposition au rôle des mères. Tout cela, au nom de la plus naturelle des prétendues complémentarités. Et ça me dérange profondément.

Par exemple: aux soins et à l’inquiétude qui conviendraient naturellement aux mères, nous devrions opposer notre force brute et notre insouciance. Aux tâches ménagères et à la prise de rendez-vous médicaux, nous devrions opposer les jeux avec les enfants et notre esprit d’aventure. D'ailleurs, de cette différenciation systématique découle des expressions comme le « mom brain », syndrome étrange auquel nous opposons notre sang froid de bon père de famille. À mon sens, affirmer sa paternité de cette manière, en infantilisant les mères et en les reléguant au département des soins, ça revient au sexisme le plus élémentaire.

 

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Lorsqu’on analyse cette complémentarité traditionnelle et construite de toute pièce, on se rend compte qu’il s’agit avant tout de placer les pères dans une position de domination et de confort, tandis que les mères sont orientées vers les tâches ingrates, à la soumission et aux bons soins des autres. Si c’est naturel, alors peut-être que je préfère la sloche bleue aux « framboises ».

Je me désolidarise de ce type de paternité qui consiste à s’inscrire en faux systématiquement face au monde des mères plutôt que d’aller hors des sentiers battus, à la rencontre de sa propre parentalité.

Chez nous, c'est plutôt mélangé: je suis le parent hypersensible et déraisonnable. C’est Joannie qui prend plus de risques et qui enseigne mieux aux enfants comment affronter leurs peurs. Moi, je suis le colleux de service et je m’endors dans le lit des petits en leur racontant des histoires. Je cuisine un peu plus, et Joannie a longtemps gagné un salaire bien meilleur que le mien. Et puis, elle exprime beaucoup moins ses émotions que je peux le faire. Sommes-nous alors inadéquats?

 

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Et que dire des zones où nos rôles s’entrecoupent, les espaces majoritaires dans notre vie de famille où nous opérons exactement de la même façon, où nous incarnons exactement la même figure et la même fonction? Mère Nature nous accuserait d'avoir triché en pigeant dans le sac à skills.

En jasant de ce sujet, il est inévitable que l’on me dise: « mon chum est extraordinaire, #NotAllDads », ou  « tu bashes les pères juste pour te remonter ». Or, il ne s’agit pas de jouer au guichet de la vertu ou d’aller voir dans le miroir vite vite si on a la marque de diable tatouée sur la nuque. Je crois simplement qu’il est possible de secouer un peu le rôle des pères, de trouver un lien entre nos expériences particulières et de réfléchir aux problématiques qui sont souvent liées à la masculinité traditionnelle dans notre rôle.

Cette masculinité, comme nous l’entendons, comme nous la voyons dans les médias et comme nous nous la transmettons, elle est loin d’être parfaite. En fait, je crois qu’avec toutes les problématiques qu’elle comporte et qu’il faudrait veiller à déconstruire, elle devient ce qui éloigne les pères de tous les possibles de leurs identités de parents. Être un père LIKE A MAN, c’est une injonction qui nous empêche vraiment d’aller au bout de notre découverte identitaire, mais surtout une oppression qui écrase les mères dans leurs coins, dans des rôles complètement injustes et normalisés.

Et que dire des couples homoparentaux? Que dire des pères monoparentaux? Que dire des familles reconstituées et des couples polyamoureux qui ont des enfants?

Si on me dit qu’ils sont tous inadéquat.es parce qu’ils n’arriveront jamais à ressembler à la famille du film Beethoven, je crois qu’on a beaucoup de pain sur la planche.

 

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