Je voyais déjà mon ventre tendu.  Rond comme la vie, plein de la somme de moi et lui.  Du doux, de l’amour, des murmures dans la nuit. Un baby. Je n’imaginais pas que la grossesse serait une loterie, un 649 infernal où je n’aurais juste jamais les bons numéros. Je connais un début sans faute. La plaquette de pilules fait un aller simple vers la poubelle de la salle de bain.  Les 2 ou 3 condoms qui restent sont distribués aux ados des voisins. Entre mes bouteilles d’acide folique et mes vitamines Materna, j’attends la cigogne.
 
Le premier mois passe. Rien. J’étais trop étonnée pour être déçue. J’me disais que c’était ironique. Toutes ces années passées sous les slogans menaçants des affiches du CLSC  qui te disent de te protéger des grossesses non désirées... Et moi qui avais ouvert un buffet fertilité-à-volonté et j’étais pour ainsi dire seule à mon party. Je voulais bien donner à ma tuyauterie le temps de se mettre en mode baby. Patience, me répétait-on à l’unisson.
 
J’occupais mon temps à choisir des prénoms, des cupcakes de shower, des faire-part de naissance. Je connaissais par cœur ma date d’ovulation, ma courbe de température, l’épaisseur de mes sécrétions. Je sentais que ça arriverait sans tarder. Je calculais mes dates pour accoucher. Bébé d’hiver, cocooning de printemps, poussette sous le soleil, retour au travail en novembre à mi-temps. J’avais un crisse de bon plan. Impossible que ça puisse se passer autrement.
 
Si ma tête était pleine, mon ventre, lui, restait plat.  Le sang coulait chaque mois.  J’échappais un petit « merde ».  Pas grave, prochain cycle, on se reprendra.

Après 3 mois, ça va. Après 6 mois, je me sentais devenir totalement impuissante. J’avais l’impression de rester derrière, de me faire échapper par les statistiques. De ne pas être choisie lorsque se font les équipes de ballon chasseur.  D’attendre en vain qu’on nomme mon nom, que je pisse enfin un + rose sur un « ostie » de p’tit bâton. On s’accroche à des détails.  On y croit toujours chaque fois. Mais le sang revient, toujours.  Et ce n’est  plus un petit « merde » timide mais un « tabarnak » puissant que je jappais en pleurant.

J’ai lu Internet trois fois, les guides papiers, les conseils du médecin, la sagesse des inconnus du coin. Tests d’ovulation, sport, santé, sobriété, ébats programmés, 10 minutes de jambes soulevées. « Chéri, tu crois que j’ai le 45 degrés recommandé pour la position du bassin et des pieds? ».
 
Les mois passent et perdent en spontanéité. Tout devient obsession. Timing.  Rationalisation. Le cycle se découpe en six.  Préparation, ovulation, conception, attente, test pipi, déception.

Rince and Repeat.

J’étais convaincue que j’échouais, qu’il y avait forcément quelque chose que je faisais ou ne faisais pas.  La faute devait me revenir.  À MOI.

Sinon, ça marcherait. Comme toutes celles que je remarquais, ces femmes enceintes à qui j’enviais leurs rondeurs, leur nausée, leurs mollets enflés.

J’arrivais à les féliciter au mieux de mes capacités, non sans avoir ravalé de travers mes larmes d’arsenic et d’amertume.
 
Après 12 mois, c’est le système médical qui a froidement recueilli mes miettes d’espoir réparties çà et là, autour de moi. 

Je me suis vue synthétique. Robot. N’ayant de féminin que cette forme qui ne servait à rien. Ventre désert, prêt pour la guerre des machines qui allait s’y dérouler pendant les prochaines années. Mais ça, c’est une histoire pour une autre journée.