J'ai perdu ma fille, j'ai changé, à tout jamais. Changé en tant que femme, en tant que fille, en tant qu'amoureuse, en tant qu'amie et aussi, surtout, en tant que mère. Je me suis forgé une identité de parent teintée par ce décès si lourd! La différence n’est pas tangible puisque je ne peux pas toucher à ce parent que j'aurais été sans mon vécu! 
 
Cette différence, je ne peux pas tant la sentir parce que ma fille est partie alors qu'elle était encore toute petite, à deux dodos de ces 3 ans et demi, après un long combat. Alors avant même son décès, j'étais déjà différente.

L'influence qu'a eu une telle perte sur mon conjoint et moi, change, pis pas à peu près, le parcours familial des autres enfants déjà présents ou qui sont arrivés ensuite, dans cette famille. Notre famille, un peu brisée, mais qui arrive tout de même à se réparer.

En tant que maman, je peux assumer toute la différence qu'a apporté Lydia dans ma vie. Je peux remettre en question mes craintes, mes peurs et mes angoisses, car je sais que se cache derrière tout ça une partie de ma Lydia. Ce qui me fait mal parfois, c'est de penser à l'impact que cet événement a eu, a encore et aura dans la vie de mes enfants.

Quand Lydia est décédée, son frère Gabriel était petit, beaucoup trop petit pour comprendre et peser l’ampleur de ce départ, mais son comportement démontrait totalement son incompréhension. Son incompréhension face à ses parents qui pleurent tout le temps, à mon incapacité à souper à la maison, à ce vide créé par l'absence de sa sœur. Celle avec qui il partageait ses journées et avec qui il avait une si belle complicité. Elle lui manquait visiblement trop. Son caractère pouvait changer d’une minute à l’autre, passant du petit gamin enjoué qu’il était de nature à ce petit bout d'homme en deuil, incapable de mettre des mots sur ses émotions. Ce petit garçon nous giflait sa colère au sens littéral du terme. J’en ai mangé des claques dans la face plus qu’à mon tour. Ça m'attristait, mais je comprenais! Dans sa petite tête, les souvenirs se sont effacés tristement. Mais quand je vois l'émotion qui pointe le bout de son nez quand on parle d'elle, je vois bien que son cœur, lui, se souvient.

Mes filles elles, vivent ça différemment. Elles n’ont pas connu Lydia, mais connaissent son histoire. Nous répondons à leurs questions sans barrières ni de mots ni d’émotions. Je leur explique parfois en riant, parfois en braillant celle qu’a été Lydia. Nous allons au cimetière à chacune de ses fêtes, elles lui font un dessin et ceux-ci s’empilent au même endroit tous les ans.
 
Dans leur réalité, elles vont visiter cette sœur inconnue, cachée sous une pierre tombale en voyant leurs parents pleurer cette autre année de trop passée sans elle. Et comme des étrangères vivant sous un même toit, elles doivent sans doute se sentir bien seules. Seules à ne pas avoir d'anecdotes à raconter, à n'avoir rien de réconfortant à dire, ni même de larmes à verser autres que celles de voir leurs parents pleurer. Mais au fond, je sais que cela les rend tristes. Triste de ne pas l'avoir connue, triste de son départ. Triste d'aller chez des amis et s'imaginer, elles aussi, avoir cette grande sœur, maintenant ado qui semble si hot. Triste de se sentir si loin de nous.

Mes enfants, contrairement à beaucoup d’autres, se questionnent à savoir si notre famille serait différente si Lydia n’était pas décédée. Ils savent aussi qu’un enfant, ça peut mourir, pour vrai, pas juste dans les films.

Et un jour, mes enfants auront, ou non, des enfants...