Dans le répertoire des familles où la charge mentale et le partage des tâches de la maisonnée étaient déséquilibrés, la mienne y figurait. Consciente que mon interprétation du concept pis ce qui vient avec diffèrent peut-être du consensus général, chez nous, ce déséquilibre était issu d’une entente. Je l’ai déjà écrit, notre Rose s’est invitée dans nos vies alors qu’on n’était pas tant prêts. À l’époque, il m’a dit : « Garde le bébé, je vous promets que vous aurez un toit sur la tête et toujours de quoi manger. » J’avais 23 ans, je venais de finir l’école. J’avais des dettes d’études, pas de job. Je l’ai cru et j’ai bien fait, il a fait ce qu’il fallait.
 
Ça veut aussi dire que la gestion du bébé et de la famille, c’est tombé dans mon assiette. Il travaillait comme un forcené et Rose et moi, on ne manquait vraiment de rien. Ça roulait, c’était notre entente. Petit à petit, les choses se sont mises à aller mieux. J’ai commencé mon boulot, le chaton la garderie et les heures de mon chum se régularisaient. Mais on avait pris nos plis. Alors sans réaliser, je continuais de gérer tout (parce que j’y arrivais), et lui me laissait tout gérer (parce que j’y arrivais). Une nouvelle maison, un deuxième enfant, les responsabilités s’ajoutaient dans mon assiette et le déséquilibre continuait de s’accroître.
 
Le contenu de mon assiette dépassait mes capacités de digestion. Pis je ne le savais pas.
 
Un mardi soir, après avoir reçu des amis à souper, il m’a dit : « Bon, j’suis fatigué, je vais me coucher. » La vaisselle n’était pas faite, la table pas ramassée et le lunch du chaton (qui fréquentait maintenant l’école) pas fait.
 
J’étais bleue.
 
Mais je n’ai pas fait de scène. Je n’ai rien dit. Je lui ai souhaité bonne nuit. Parce que je savais que cette conversation serait nécessaire et qu’elle ne pourrait pas être faite n’importe comment, n'importe quand. D’abord, pas en étant fâchée.
 
J’ai essayé de digérer ça pis de mettre mes émotions de côté. J’ai attendu qu’un moment propice se présente. Je me suis assise avec lui et je lui ai dit : « J’aimerais savoir là où dans notre entente de famille, on a convenu que j’étais la seule responsable des lunchs de Rose. » Voyez, je n'abordais pas tout d’un coup, je commençais par les lunchs.
 
Je l’ai vu surpris, puis réfléchir et dire : « T’as raison, c’est ma fille aussi. »
 
J’étais consciente que pendant des années, je m’étais occupée de tout. Il y avait notre entente qui était responsable dans ça, mais l’autre part revenait à notre inaction quand notre vie a pris une tournure plus « normale ». Je comprenais que je ne pouvais pas le parachuter dans ça juste de même. Il avait beaucoup d’apprentissages à faire. On a commencé par les lunchs. J’ai créé une liste de ce qu'il devait contenir avec quelques idées que j'ai laissée sur le frigo.  Il s’y est référé pendant un temps, puis on a pu se débarrasser du papier. 
 
Une chose en amène une autre. Je voulais qu’on atteigne cet équilibre et lui aussi. Mais ces années de déséquilibres n’allaient pas se transformer en deux semaines. Lentement, mais sûrement, qu’ils disent.
 
Il y a eu des échanges plus tendus que d’autres, mais dans l’essentiel, je dois dire que la progression s’est faite en douceur. Le mot d’ordre, c’est que nous formons une équipe. On ne travaille pas l'un contre l’autre, on travaille ensemble. Ça paraît de base, mais des fois, ça fait du bien de se le rappeler.  Nous regardons ensemble dans la même direction.
 
Et les choses avançaient, mais, trois ans plus tard, ça a l’air de quoi?