(À lire : premièredeuxièmetroisièmequatrièmecinquième et sixième partie)
 
Je voyais Joe partout : en tant qu’arbitre à un de mes matchs d'impro, à l’affiche de pièces de théâtre et même dans une vidéo promotionnelle pour sensibiliser les gens à la violence faite aux personnes âgées. Ça me rendait malade de le voir s’épanouir dans ma région natale, avec l’aide des gens que j’ai côtoyés presque toute ma vie.

Nous devions présenter ensemble le spectacle de fin d’année de nos étudiants. La femme qui nous a engagés et adoptés a décidé de laisser Joe s’en charger seul. Son excuse : « Tu n’aurais pas dû insister pour entrer ce soir-là. Tu aurais dû venir chez moi. Il t’a frappée, mais toi, tu l’as mordu. Il m’a montré sa main. ». Je savais qu’elle était amoureuse de lui. Je le voyais, ça sautait aux yeux. Mes élèves m’ont envoyé des cartes, des bricolages et des textes remplis d’amour. Je les ai regardés en pleurant, dans ma chambre, sur un gros buzz d’Ativan.
 
Je l’ai croisé dans un bar, avec sa nouvelle copine. L'ancienne blonde d'un membre de ma famille. Je l’ai avertie ce soir-là. Elle m’a dit que j’exagérais. J’apprendrai plus tard qu’elle a subi le même sort.
 
J’ai revu Émilie. Sur la couverture du Journal de Montréal. Elle s’était fait arrêter lors d’une frappe policière dans un réseau de trafic de drogue et prostitution. J’apprendrai aussi qu’à l’époque de notre amitié forcée, le bébé qu’elle portait était décédé.
 
Le « collègue » de Joe qui avait sous-loué mon appartement à des fins malpropres n’avait jamais payé. Le propriétaire est arrivé sur les lieux et a eu un choc : personne ne lui avait parlé de sous-location. J’ai dû payer. Pour ça et pour plusieurs faux chèques déposés dans mon compte par muthafuckin’ Joe.
 
J’ai souvent googlé son nom depuis. Certains résultats me donnent des frissons (il a produit une pièce pour dénoncer l’intimidation à l’école, appuyé publiquement par une personnalité publique très empathique) tandis que d’autres me font du bien. Il est pris dans des projets poches, il se donne en spectacle dans des productions vraiment moyennes : il m’apparaît pitoyable, ridicule. Il n’avancera plus. Oui, il aurait dû être en prison au moins un peu. Mais ses shows de marde, c’est un peu sa prison. Ses rêves de grandeur ne se réaliseront pas, je le sens.
 
Il s’est marié et a eu une troisième fille.
 
Je ne regrette pas mes choix. Les regrets ne font pas partie de ma vie. J’essaie, en tous cas. J’aurais aimé ne pas choker en cour, par contre. Juste avant d’entrer en salle d'audience, une personne dont le titre m'échappe, m’a proposé de ne pas témoigner, car plusieurs témoins étaient supposément nerveux de le faire. En échange, je ne revivrais pas les douloureux évènements, je ne serais pas confrontée aux questions de la défense et Joe serait automatiquement déclaré coupable de certaines accusations, tandis que d’autres seraient retirées. Je n’ai pas bien écouté, j’étais nerveuse, je ne sais pas pourquoi j’ai accepté.

 Crédit : Marie-Ève Saucier

 
Ce n’est pas pour m’attirer de la sympathie que j’ai partagé l’histoire de Joe Tannant. C’est pour démontrer que tout est possible. Car, voyez-vous, en chacun, en chacune de nous, y’a un ninja. Un bad ass ninja. Un ninja qui encaisse les coups de la vie en les observant, les analysant et en apprenant comment les utiliser pour avancer et vaincre. On me félicite souvent de m’en être sortie. Ça me surprend, chaque fois, car pour moi, ne pas m’en sortir n’était pas une option. Mon entourage (a.k.a. mon Ninja Crew) m’a aidée, oui, mais il fallait que je veuille.
 
Aujourd’hui, j’ai deux beaux enfants, un amoureux de qualité supérieure, une famille et des amis qui sont restés. J’ai eu de belles années et en aurai d’autres encore plus belles. La carrière de mes rêves est au bout de mes doigts : je viens d’être admise au programme auteur de l’École nationale de l’humour. J’ai la chance de faire partie de l’équipe de TPL Moms.
 
Alors tu sais quoi, Joe? J’ai gagné. Tout le monde peut gagner. Je suis une ninja. Tellement que cette histoire n’est pas celle de Joe Tannant. C’est la mienne. Celle de tous et toutes les ninjas. Parce qu'en y croyant, nous ne sommes pas des victimes de violence conjugale. Nous sommes des ninjas qui analysent les coups de la vie, avant de les utiliser pour gagner.
 
Merci d'avoir lu, partagé; merci pour vos mots doux. Vous faites partie de mon Ninja Crew.

Tant qu'à être partie sur les rimes, je vous laisse sur celles d'une rappeuse qui connaît bien MON histoire.
 

Crédit : Bandcamp.com
Mc La Sauce, production : Chafiik

NDLR : Preuve que toute est dans toute, ce dimanche 14 juin aura lieu la marche  « Je suis
Gabrielle », organisée par la fondation Jasmin Roy, pour dénoncer la violence amoureuse. Parce que l'amour ne devrait jamais être violent.